Transcription
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Aaaah Noël ! Sa neige, ses illuminations et ses sitcoms romantiques de Noël. Vous savez, ces romcoms dans lesquelles Kate, qui a une brillante carrière à New York, va retrouver sa famille dans le Vermont, région qu’elle déteste, pour les fêtes de Noël, qu’elle déteste encore plus et qui tombe en panne dans une tempête de neige juste devant la maison de Mike un bûcheron canon qui vit seul avec son labrador parce qu’il s’est fait largué et qu’il a perdu foi en l’amour. Vous voyez ? Eh ben ce n’est pas des sitcoms dont je vais vous parler aujourd’hui mais d’un des plus gros blockbusters de la comédie romantique de Noël : Love Actually. Considéré comme LE film romantique par excellence, il pose pourtant énormément de problèmes sur le regard porté sur les femmes, sur le regards des hommes sur les femmes et sur les relations dites « romantiques » entre les hommes et les femmes.
Love actually: analyse de la comédie romantique de Noël par exellence
Avant de commencer, plusieurs précisions : j’ai travaillé à partir de la version française du film, par commodité, je l’avoue, et aussi parce que c’est la version française qui passe tous les ans sur les chaînes de grande écoute. Je rappelle aussi que les opinions exprimées dans cet épisode sont les miennes, mon but est simplement de vous amener une lecture des films potentiellement différente de celle donnée habituellement même si on commence, depuis quelques années à voir apparaitre de plus en plus de discours assez similaire à celui que je vais vous tenir.
Dernière précision, pour faire une bonne analyse, je dois parler de tout le film. Donc il y aura des spoilers partout. Alors, si vous ne l’avez pas vu, je vous conseille un petit visionnage avant d’écouter cet épisode.
Love actually: le film choral de Noël
Love actually, sorti au cinéma en 2003, est une comédie romantique de Noël britannique écrite et réalisée par Richard Curtis, qui a également écrit le scénario de 4 mariages et un enterrement, Coup de foudre à Notting Hill, Le journal de Bridget Jones et sa suite.
Love actually est ce qu’on appelle un film choral, c’est-à-dire un film avec de très nombreux personnages et autant d’intrigues qui s’entrecroisent au fur et à mesure de l’histoire. Et on peut dire que Love actually est un poids lourd du genre puisqu’il rassemble beaucoup de têtes d’affiche comme Hugh grant, Emma Thomson, Colin Firth, Keira Knightley, Alan Rickman ou encore Liam Neeson. Dans ce blockbuster de Noël, on suit la vie d’une vingtaine de personnages durant les cinq semaines qui précèdent Noël à Londres.
Je dis « blockbuster » parce que c’est est véritablement un, à tel point qu’on nous le ressert tous les ans à la télé quand arrivent les fêtes de fin d’année malgré des problématiques assez énormes dont je vais vous parler.
Pour ça, je vais suivre le schéma adopté par le film lui-même : je vais prendre, une par une les neuf intrigues du film, qui se composent toutes de quelques scènes rapides qui permettent de présenter les personnages, la mise en place de leur problématique 5 semaines avant Noël pour arriver ensuite à la résolution de leur problématique, la veille de Noël.
Et pour montrer d’emblée là où je vais vous emmener, je vais commencer par le personnage le plus problématique de ce film, à tel point que, même en 2003, il était déjà hors-limite : c’est bien sûr le personnage de Colin.
Le personnage de Colin: le harceleur récompensé
Ah le personnage de Colin, c’est tout un poème…
Interprété par Kris Marshall, Colin fait des petits boulots qui lui permettent de « rencontrer » des femmes qu’il drague non stop… si on peut appeler ça de la drague : il se jette littéralement sur tout ce qui bouge et qui ressemble à une femme avec un discours essentiellement centré en dessous de la ceinture :
« De bonnes grosse brioches pour une jolie fille ».
Évidemment, ça ne fonctionne pas. On va voir que le film nous propose à chaque fois des archétypes à travers ses personnages et Colin, lui, est présenté comme l’archétype du raté hyper dragueur mais qui se prend des vents.
Le problème avec Colin, en plus de sa technique de drague très agressive, c’est qu’il ne s’arrête jamais. Très clairement, ce genre de comportement s’apparente à ce qu’on appelle aujourd’hui du harcèlement sexuel. Le problème c’est que le film ne le présente pas du tout comme ça. On le voit par exemple tenter sa chance avec Mia, un autre personnage qu’on retrouvera plus tard qui ne lui répond même pas, ce qui rend Colin tout tristoune et nous amène, en tant que spectateur et spectatrice à éprouver de l’empathie pour lui alors que, soyons clairs, il n’en mérite pas parce qu’il est vraiment insupportable avec les femmes.
Bref, ce brave Colin a une théorie : s’il ne trouve pas l’amour c’est parce que les anglaises sont bêcheuses et coincées et lui veut une fille qui ne soit pas coincée. Et donc, s’il va aux USA, les américaines adoreront forcément « sa tête d’anglais » comme il dit et il pourra choper des filles. Oui, parce que Colin pense qu’il est un dieu du sexe. Et pour le coup, il faut avouer que le film le montre comme quelqu’un d’assez ridicule. Son ami Tony, joué par Abdul Salis, qui fait tapisserie dans le film, lui dit d’ailleurs:
» Tu n’es qu’un pauvre naze tout seul avec sa gueule de con ».
C’est un peu violent mais c’est pas faux.
Colin ne lâche pas l’affaire, prend un billet d’avion et part pour le Wisconsin avec un sac à dos rempli de préservatifs. Lorsque Tony, qui l’accompagne à l’aéroport, lui dit qu’à son retour il sera un homme brisé, Colin répond :
» Surtout de la bite à force d’avoir trop baisé (…) Je suis sur l’autoroute qui mène à leur chatte (…). L’Amérique, prend garde, voilà Colin et son énorme teub « .
La classe jusqu’au bout.
Quand on considère ce type qui harcèle les femmes et a aussi peu de respect pour elles, on pourrait s’imaginer, puisqu’on est dans une comédie de Noël, que le scénariste a préparé un retournement, une leçon pour Colin mais façon « Noël », genre, il tombe vraiment amoureux et se rend compte qu’il était vraiment nul avec les femmes.
Eh ben non, le scénario lié au personnage de Colin est misogyne du début jusqu’à la fin. Arrivé aux États-Unis, dans un coin paumé, il s’arrête dans le premier bar sur sa route et tombe sur deux magnifiques femmes qui tombent illico sous son charme soi-disant british. En passant, la scène où les américaines s’extasient sur son accent anglais tombe complètement à plat en français parce le texte n’a clairement pas été retravaillé. Les américaines en questions sont des clichés sexistes et sexualisées au possible, elles parlent d’une voix langoureuse et font des avances extrêmement explicites à Colin qui n’en revient pas de sa chance. Je vous laisse le dialogue de fin, ça vaut son pesant de cacahuètes.
» – Ça te semble, précipité, on se connaît à peine mais si tu veux, tu peux venir dormir à l’appart.
– Oui, si ça ne cause pas trop de dérangement.
– Non! Mais, il y a un petit problème.
– Comment ça?
– On ne peut pas dire qu’on est les filles les plus riches du mondes donc on n’a qu’un seule petit lit et pas de canapé donc il va falloir que tu le partage avec nous trois. Et avec le froid qu’il fait la nuit, il va falloir qu’on se serre pour se réchauffer parce qu’on n’a même pas les moyens de se payer un pyjama.
– Ah non?
– C’est bien pour ça qu’on dormira sans rien. Toutes nues. »
La « problématique de Colin » se résout donc avec un plan à trois avec de superbes créatures qui ont le feu au fesses.
Et comme si ça ne suffisait pas, il y a la scène de l’aéroport. Le film commence et se termine sur des images d’aéroport et de gens qui s’embrassent. La scène de fin nous montre tous les personnages du film à l’aéroport justement. On a Colin qui revient des États-Unis, tel un dieu du sexe donc, avec l’une des américaines et, comme il est sympa il en a même ramené une à son porte Tony. Il y en a qui ramène des bols avec des prénoms de leurs vacances, lui il ramène une meuf. L’américaine en question, jouée par Denise Richards, se jette littéralement sur Tony pour l’embrasser sur la bouche.
Normal, quoi.
On a ici un personnage qui incarne à lui tout seul le male gaze. Le male gaze, littéralement « regard masculin », désigne le fait que la caméra nous amène, nous, spectateurs et spectatrices, à adopter un regard d’homme hétérosexuel et que les femmes soient filmées comme des objets sexuels. On en a ici une éclatante démonstration. Colin fait partie de ces personnages de forceurs dont les fictions nous amènent souvent à considérer que leur drague lourde n’est qu’un jeu alors que dans la vraie vie, c’est rarement le cas.
Au-delà de ça, on pourrait se demander quel est le message ?
On a un harceleur, un forceur qui est insupportable et qui, au final, obtient tout ce qu’il veut. Ou comment encourager les hommes à harceler les femmes.
On notera aussi au passage le cliché très réducteur des américaines. Les femmes d’outre-Atlantique apprécieront…
En tous cas, le personnage de Colin permet de mettre en avant un problème qui, selon moi, est en partie seulement lié au format du film. Un film choral a tellement de personnages par définition qu’il est impossible de beaucoup les travailler, d’amener subtilement leur caractère et leur problématique. Le scénariste est obligé de brosser des portraits à grands traits, ce qui amène souvent à des caricatures et c’est le cas pour Colin. Pour vous donner une idée du problème, j’ai calculé le temps, dans le film, alloué à chaque intrique. L’intrigue de Colin, en tout et pour tout, dure 7 minutes. Comment voulez-vous construire des personnages nuancés en 7 minutes ?
Impossible.
Et on va le voir, le personnage caricatural, c’est un peu la spécialité de Love actually.
Billy et Joe: l'amitié toxique
Love actually est un film qui parle de toutes les sortes d’amour, et dans celles-ci, il y a aussi l’amitié. Cette amitié est censée être représentée dans le film par la relation entre Billy, un vieux chanteur cynique et dépravé joué par Bill Nighy et son manager Joe interprété par Gregor Fisher. Billy est une ancienne gloire de la musique qui tente un come-back et pour ça, il a sorti un sorti un single de Noël, une reprise de Love is all round qui devient Christmas is all around. Pour l’anecdote, Love is all around est une chanson des Troggs dont une des versions les plus connues de nos jours est la reprise du groupe Wet wet wet sortie en 1994 et qui clôturait le film Quatre mariages et un enterrement, un film dont le scénario a été écrit par Richard Curtis, le scénariste et réalisateur de Love actually.
Bref, le single de Billy est une sorte de fil rouge pendant le film, on entend la chanson un peu partout. Concernant Billy, on le voit surtout faire la promo de son single. Enfin, c’est pas vraiment de la promo. Le chanteur étrille systématique sa propre chanson en radio et à la télé, multiplie les comportements problématiques et il crache volontiers sur son propre travail:
« Allons, Mike, vous savez comme moi que c’est une énorme daube (…) Si par le plus grands des hasards vous croyez au Père Noël, les enfants, autant que votre oncle Billy y croit, achetez-moi ce purulent étron qu’on appelle un album. «
Il est d’un cynisme hallucinant et passe son temps à se saboter dans les media avec une certaine délectation, il faut le dire, au grand désespoir de son manager.
La relation qu’ils ont tous les deux est aussi particulière. Billy passe son temps à maltraiter le pauvre Joe qui encaisse et notamment, il lui fait sans cesse remarquer qu’il est gros. Et ça c’est une autre des spécialités dans Love actually : la grossophobie. Alors certes, ça va avec le personnage assez répugnant de Billy mais ce n’est pas forcément nécessaire.
Malgré la promo désastreuse de Billy, son single devient de plus en plus populaire au point qu’il promet de jouer nu s’il est en tête des ventes pour Noël.
L’univers de Billy est vulgaire et profondément misogyne. Pour s’en rendre compte, il suffit de voir le clip où on le voit chanter entourées de musiciennes en tenue de Noël particulièrement échancrées avec des comportements sexuellement explicites. On parlait du male gaze tout à l’heure, ben là on est plein dedans : en quelques secondes de clip on a droit à un gros plan sur la poitrine d’une musicienne, un plan sur la batteuse qui joue les jambes écartées, laissant voir sa culotte et une autre musicienne qui se passe la langue sur les lèvre en regardant la caméra d’un air langoureux.
On retrouve ici un des problèmes pointés pour le personnage de Colin. L’intrigue de Billy et Joe dure en tout et pour tout 8 minutes dans tout le film, le scénariste a donc sculpté le personnage de Billy à la truelle. Le problème, c’est que ça va beaucoup trop loin. On comprend très vite que le personnage est vulgaire, cynique et misogyne, mais on en rajoute quand même des couches et des couches sans doute pour rendre le personnage très antipathique afin que le retournement de situation n’en soit que plus éclatant.
Ce retournement a lieu, donc, à la veille de Noël lorsqu’on apprend que Billy est n°1 des ventes. Il reçoit un coup de fil d’Elton John qui lui propose de passer le réveillon avec lui: le succès lui sourit à nouveau. L’intrigue se termine chez le manager qu’on voit boire une bière seul devant la télé où passe ce fameux clip de la chanson de Billy et… magie de Noël ! On frappe à la porte. C’est Billy qui explique que, chez Elton John, il a eu une révélation, qu’on est censé passer Noël avec les gens qu’on aime et qu’il se rend compte que les gens qu’il aime se résume à son manager.
C’est mignon hein ! Dommage que, dans cette charmante tirage qui est une sorte de déclaration d’amitié, il trouve quand même le moyen de glisser à son manager, encore une fois, qu’il est obèse, qu’il fasse une déclaration répugnante à l’égard des femmes et que son manager fasse un commentaire homophobe.
« – 10 minutes chez Elton John et t’es pédé comme un phoque ?
– Attend, j’ai lâché la soirée chez Elton John quand il y avait une coquette somme de gonzesses à poil avec la bouche grande ouverte pour finir le réveillon avec toi ».
Avec tout ça, c’est quand même moyennement crédible. Il a bon dos l’esprit de Noël mais le personnage de Billy est tellement abominable que c’est très difficile d’avoir envie que ça se finisse bien pour lui. Et quelque part, on a le même problème qu’avec Colin précédemment. Quelle est la morale de cette intrigue ? On peut maltraiter ses amis tant qu’on veut, les vrais restent?
Sérieusement ?
Et tout comme pour Colin, j’en viens à me demander si le scénariste et réalisateur ne nous prend pas un peu pour des jambons à caricaturer les gens comme ça. Certes, il faut installer les personnages très rapidement, puisqu’on a peu de temps, mais c’est pas la peine d’aller jusque là. Il suffit de quelques phrases pour qu’on comprenne à quel point Billy est pitoyable. Le fait de pousser la caricature au maximum fait qu’on finit pas ne plus avoir d’empathie pour le personnage.
Mark, Juliet et Peter: le cas du stalker romantique
On va maintenant s’attaquer à des figures assez mythiques de ce film et un des deux triangles amoureux, je veux parler de l’intrigue entre Juliet jouée par Keira Knightley, Mark interprété par Andrew Lincoln et Peter joué par par Chiwetel Ejiofor. Vous savez, c’est la fameuse scène des pancartes.
Donc, dans cette intrique qui dure 12 minutes (eh oui, seulement), on découvre Juliet qui se marie avec Peter. Mark, quant à lui, nous est présenté comme le meilleur ami de Peter et on découvre vite que Mark ne semble pas bien s’entendre avec la femme de son ami. On constate en effet que Mark est très distant et fuyant avec Juliet. L’intrigue se noue vraiment quand Juliet demande à Mark ses cassettes de leur mariage (oui on est au début des années 2000, donc on filme encore avec des caméscopes qui ont des cassettes). Elle lui explique que les images qu’elle a de son mariage son complètement ratées et toutes bleues et qu’elle a remarqué que Mark avait beaucoup filmé pendant le mariage et elle aimerait bien voir la cassette. Il est visiblement gêné, limite malpoli. Pourtant elle est charmante avec lui. Elle finit par venir chez lui à l’improviste mais il est clairement pas du tout emballé et tente de lui faire croire qu’il n’a plus la cassette. Sauf que, pendant qu’elle lui explique qu’ils pourraient être bon amis tous les deux, elle remarque la fameuse cassette et la met dans le magnétoscope. Elle découvre qu’il n’y a qu’elle sur ces images : il n’a filmé qu’elle. Et stupéfaite, Juliet comprend que, loin de la détester, en fait il est amoureux d’elle, la femme de son meilleur ami. On a donc là, l’archétype de l’amoureux sans espoir et l’amour à sens unique au travers de ces personnages.
Mais avant de continuer, je voudrais qu’on prenne un peu de recul sur cette scène. Grâce à la musique notamment et au jeu d’Andrew Lincoln, on se dit « oh le pauvre garçon, comme c’est triste ce qui lui arrive ! » Mais on va enlever les violons et là, je vais m’adresser aux auditrices. Est-ce que, si vous découvriez que le meilleur ami de votre mari avait une cassette vidéo entière de vous, quand bien même ce sont des images de votre mariage, il y n’y a que des gros plans de vous, est-ce que vous trouveriez ça mignon ? Et question subsidiaire qui m’a été soufflée par l’excellent livre de Chloé Thibaud Désirer la violence sur lequel je vais beaucoup m’appuyer dans cet épisode, est-ce que si cet ami était laid, selon votre conception de la beauté, s’il n’était pas aussi charmant qu’Andrew Lincoln, trouveriez-vous ça mignon ?
On a ici quelque chose qu’on trouve souvent au cinéma et surtout dans les films romantiques : des comportements problématiques qui sont romantisés voire parfois érotisés, et qui sont presque toujours le fait d’un mec beau ou désirable. Du coup, on a donc tendance à oublier le côté glauque. C’est très exactement ce qu’on a là. Un comportement problématique qu’on nous présente comme romantique et destiné à nous tirer quelques larmes de compassion.
Et ça, c’est pas ok.
J’en rajoute une couche : vous vous souvenez de la scène du mariage de Peter et Juliet ? Mark a fait une « surprise » aux mariés avec une chorale gospel et des musiciens partout dans l’église qui chante une chanson d’amour. A posteriori on se dit qu’il s’est sans doute beaucoup investi dans ce mariage, peut-être parce qu’il s’y projetait un peu. Et ça aussi c’est un peu glauque, d’autant que c’est toujours montré comme quelque chose d’adorable.
Bon avec tout ça, on n’a pas parlé du dénouement de l’intrigue. C’est la mythique scènes des pancartes. Mark se pointe chez Peter et Juliet la veille de Noël. C’est Juliet qui ouvre. Mark lui fait signe de ne rien dire et il lui montre des pancartes sur lesquelles il lui avoue enfin ouvertement qu’il est amoureux d’elle, pancarte après pancarte. Au moment de partir Juliet l’embrasse sur la bouche comme pour le consoler j’imagine. Et pendant ce temps, Peter, le mari de Juliet est à l’étage, pensant que sa femme écoute une chorale de Noël.
En repartant, Mark semble bien décidé à passer enfin à autre chose:
» Ça suffit, ça suffit. »
Cette scène est considérée comme hyper romantique. Et pourtant même le comédien, Andrew Lincoln s’est, à l’époque, interrogé sur cette situation en se demandant si elle n’était pas problématique. Il a déclaré: « Je n’arrêtais pas de répéter à Richard [Curtis, le réalisateur] que j’avais l’impression d’être flippant (…) Aujourd’hui, il est conscient que le comportement de mon personnage est à la limite du harcèlement. »
Oui parce que, je suis désolée de le dire comme ça, mais, au fond, c’est juste l’histoire d’un mec qui stalke la femme de son meilleur ami. On a juste mis un vernis qui fait pleurer et des chants de Noël par-dessus.
Et si vous en doutiez encore, il suffit de lire le témoignage de la principale intéressée, l’actrice Keira Knithtley, qui est revenue sur la fameuse scène des pancartes dans une interview qui, si je ne me trompe pas, a été donnée cette année. Elle dit : « L’aspect stalk (cad de harcèlement) de cette scène, je m’en souviens. Je me revois faire la scène et Richard Curtis [le réalisateur] me dire à propos d’Andrew Lincoln » Non, tu le regardes comme s’il était flippant » et moi » Mais il est un peu flippant ». Et on a dû la refaire pour corriger l’expression de mon visage pour que l’acteur paraisse moins flippant ».
Voilà, dans la bouche d’une femme, ce qu’est vraiment cette scène quand elle la vit, sans montage, sans jolie musique derrière. Et c’est aussi le bon moment de rappeler que Keira Knightley n’avait que 17 ans lors du tournage de Love actually. Sachant que les très jeunes femmes se font souvent plus harcelées, je trouve son témoignage très significatif.
Un seul amour est possible: Sarah et Karl
On va maintenant d’intéresser à une intrigue qui dure aussi 12 minutes et qui est triste à mourir, c’est l’histoire de Sarah et Karl.
Sarah jouée par Laura Linney est folle amoureuse de son collègue Karl, interprété par Rodriguo Santoro. Elle est tellement folle de lui que même son patron, Harry, joué par Alan Rickman, l’encourage à faire le premier pas. Il est d’ailleurs assez curieux, ce patron qui s’immisce dans la vie privée de ses employés mais bon…
La particularité de Sarah, c’est qu’elle est sans cesse interrompue par des coups de fil. Il y a quelqu’un qu’elle appelle « mon amour », qui l’appelle absolument tout le temps, et à qui elle répond invariablement « mais non, bien sûr que tu ne me déranges pas » même si, clairement, les appels la dérangent.
Il y a bien quelques tentatives entre elle et Karl, mais ça ne débouche pas jusqu’à une fête organisée par leur entreprise qui se déroule d’ailleurs dans la galerie photos tenue par Mark, notre stalker aux pancartes. Karl invite Sarah à danser, la situation se décoince enfin, elle ramène Karl chez elle et pour résumer, ils se retrouvent tous les deux dans sa chambre et ça commence à devenir chaud. Sauf que le téléphone sonne et que Sarah répond en disant « non, tu ne me déranges pas » au grand désarroi de Karl évidemment. Sarah lui explique ensuite que c’est son frère qui l’appelle sans cesse, que ses parents sont décédés, et qu’elle doit s’occuper de lui. Karl et Sarah recommence à refaire leur petite affaire quand le téléphone sonne à nouveau. Sarah répond et dit cette phrase que je trouve hyper violente pour le pauvre Karl qui est juste à côté :
« Non, tu ne me déranges pas, je ne faisais rien de spécial ce soir, si tu veux je peux venir tout de suite. »
Karl finit par ramasser un peu tristement ses affaires et partir. Et on en reste là en ce qui concerne leur relation. On les voit juste se souhaiter un bon Noël au travail, une scène franchement triste où Sarah se met à pleurer une fois Karl parti et on la voit pour la première fois du film décrocher son téléphone pour appeler son frère et non l’inverse. La veille de Noël, Sarah rend visite à son frère qui se trouve dans un institut spécialisé. Il semble être atteint d’une sorte de paranoïa, puisqu’il croit que les infirmières essaient de le tuer et il essaie même de frapper Sarah. C’est une scène assez courte mais difficile parce qu’on se rend compte que Sarah se sacrifie pour son frère qui souffre clairement.
Encore une fois, il me semble nécessaire un faire un pas de côté pour analyser cette intrigue. On a ici une mise en scène à la fois de l’amour censé être impossible (je dis « censé » parce que, pour moi, ce n’est pas vraiment le cas) et aussi le thème de l’amour fraternel, mais surtout on a ici un archétype féminin assez problématique mais Ô combien courant, celui de la femme qui se sacrifie. Alors, Sarah est ce qu’on appelle une aidante et ça induit toujours une forme de sacrifice. Mais dans notre société, on associe toujours les femmes avec ce qu’on appelle le care, issu du mot anglais. Une femme, dans notre monde occidental, est là pour prendre soin des autres et des siens. On est dans ce cas avec Sarah mais ça va au-delà, parce que Sarah, elle, refuse l’amour romantique pour s’occuper de son frère. En fait elle n’essaie même pas, elle lâche l’affaire direct. D’ailleurs, lorsqu’elle est dans la chambre avec Karl, après qu’elle ait répondu au premier coup de fil, elle avoue d’elle-même que répondre systématiquement à tous ces appels n’aide ni son frère ni elle.
On peur voir qu’elle culpabilise énormément, qu’elle sacrifie tout pour son frère. Je sais pas vous, mais je trouve cette intrigue très déprimante, on a un sentiment de gâchis et on voit qu’à la fin, tout ce qu’on les personnages, ce sont des regrets.
Et, encore une fois, nous sommes dans une comédie romantique et la question, toujours la même est quel est le message qu’on nous envoie ? Mesdames, occupez-vous de votre famille, quitte à sacrifier le reste, notamment votre vie intime et votre bonheur personnel. Moi c’est ça que j’entends. Qui plus est, il y a une sorte de mise en compétition de l’amour au sens amoureux et l’amour fraternel qui, moi, me dérange. D’ailleurs, pour la veille de Noël, le moment de la résolution des problématiques pour les personnages, on voit Sarah et son frère s’étreindre, comme s’il n’y avait de la place que pour une seule forme d’amour, un amour qui demande à sacrifier les autres.
Encore un beau message d’espoir pour les femmes, affligeant et très paternaliste.
Bon, maintenant qu’on a parlé de Sarah et Karl, on va parler de Harry, leur patron et son triangle amoureux assez déprimant aussi.
La sainte et la diabolique: le triangle amoureux entre Harry, Karen et Mia
L’intrigue autour de Harry, joué par Alan Rickman donc dure environ 16 minutes dans le film. C’est un peu plus long mais vous pouvez constater que c’est pas violent non plus.
Harry est donc le patron de l’entreprise où travaillent Karl et Sarah mais aussi Mia, peut-être sa secrétaire, jouée par Heike Makatsch. Et Mia, elle veut son patron. Soyons clairs, parce que elle, elle l’est, elle le veut sexuellement parlant. Et pour lui faire comprendre, elle lui envoie des signaux absolument énormes : elle fait des allusions évidentes et salaces, elle va même jusqu’à ostensiblement écarter les cuisses devant lui. On a encore ici un personnage ciselé tout en finesse…
Au début, on n’est pas très sûr de ce que Harry en pense, mais assez rapidement, on sent qu’il est charmé, d’autant que, est-ce utile de le préciser, Mia est bien plus jeune que lui. Sauf que Harry, il est marié avec Karen, interprétée par Emma Thompson qui est femme au foyer, qui s’occupe de leurs deux enfants et qui se plaint à demi-mot de cette vie.
Toujours est-il que Harry, commence à répondre aux signaux de Mia et, finalement à flirter avec elle.
Et la fameuse soirée de l’entreprise dont on a parlé juste avant permet de voir à quel point le personnage de Mia a été taillé à la hache. Oui parce que, ici, on ne nous montre pas juste un homme attiré par une collègue qui lui fait du rentre dedans, non, on nous montre un mari abominablement détourné de son épouse par une femme diabolique. Parce que le scénariste charge clairement le personnage de Mia de la totalité de la responsabilité de ces flirts adultérins. Et, encore une fois, on nous prend vraiment pour des jambons parce que vu le comportement de Mia on a bien compris qu’elle était désignée d’office comme la méchante. Mais, au cas où on n’ait pas compris, les scénaristes ont affublé Mia d’un petit serre-tête avec des cornes de diable lors de cette soirée pour montrer à quel point elle est diabolique. Mieux encore, le scénariste fait dire à Harry, alors que sa femme, Karen, qui est présente à cette soirée lui dit qu’elle doit parler à je ne sais qui :
« Tu es une sainte ». Comme ça, on a bien bien compris que Karen était la gentille et Mia la méchante.
Pendant la soirée, Harry danse avec Mia, il lui dit qu’elle est belle, elle répond que c’est juste pour lui (oui, au cas où on n’ait toujours pas compris) sauf que Karen voit Mia susurrer à l’oreille de son mari.
Et Karen, elle n’est pas stupide.
Plus tard, on a une nouvelle mise en concurrence visuelle des deux femmes quand Karen se déshabille et se retrouve dans des sous-vêtements informes, pâles alors que Mia qui se déshabille chez elle est en petit dessous sexy, rouge évidemment. Karen tente bien de tendre une perche à son mari en lui disant qu’elle s’est sentie grosse et laide à cette soirée mais il passe complètement à côté. Et elle lui fait comprendre qu’elle a bien vu son petit manège avec Mia et lui dit de faire bien attention. Et ça la travaille Karen, elle ne dort pas.
On a donc ici l’archétype de la femme bafouée et de l’amour adultérin.
Quelques jours plus tard, Harry commence à flirter ouvertement avec Mia qui lui demande un cadeau de Noël alors qu’il va rejoindre Karen pour les achats de Noël. Enfin, Monsieur n’est pas très investi dans les cadeaux de Noël:
» Trouve-toi une occupation pendant 10 minutes que je fasse notre B.A. pour nos mamans respectives. »
Petit aparté mais on a ici un cliché très vrai de la charge mentale de Noël, très largement majoritairement portée par les femmes, ici Karen qui va aller chercher des cadeaux y compris pour la mère d’Harry.
La bonne blague.
Et lui, pendant ce temps, qu’est-ce qu’il fait? Eh bien il tente d’acheter un pendentif en forme de cœur et on a d’ailleurs à ce moment-là une des scènes les plus drôles du film où le vendeur, Rowan Atkinson (le fameux Mr Bean) met un temps fou pour faire un paquet cadeau extravagant devant un Harry très nerveux qui surveille l’entrée du magasin. On comprend alors que le pendentif n’est pas pour sa femme. Sauf que Karen arrive et on pense alors que l’achat est tombé à l’eau. D’ailleurs Karen lui fait un réflexion assez intéressante, elle dit:
« Je ne me fais d’illusion, ça fait des années que tu me dis que j’aime les foulards en soie. «
Donc en plus Harry est un homme qui dit à sa femme ce qu’elle aime. C’est charmant.
Dans une autre scène on voit Karen qui accroche le manteau de son mari et sent quelque chose dans sa poche : elle découvre une boîte dans lequel se trouve le fameux collier. Elle croit que c’est pour elle et on voit bien qu’elle est à la fois surprise et ravie. Sauf que, au moment d’ouvrir les cadeaux, Karen ouvre le sien qui a exactement la même forme mais découvre des CDs. Elle comprend alors que le pendentif en forme de cœur est pour Mia dans une scène assez pénible où on la voit qui essaie désespérément de garder la face pendant que Mia, chez elle, toujours en petite culotte, met le collier à son cou. Karen part pleurer dans sa chambre puis se recompose un visage de bonne mère de famille pour emmener les enfants à leur spectacle de fin d ‘année. Ce n’est qu’après le spectacle qu’elle fait comprendre à son mari qu’elle sait ce qui l’a fait et lui dit:
« Tu me fais passer pour une imbécile et le seul cadeau que tu m’aies fait c’est une vie ridicule. »
devant Harry qui se confond en excuses maladroites.
Et c’est tout.
On les retrouve dans la scène finale de l’aéroport et, je ne sais pas ce que vous avez compris, vous, mais moi je pense qu’elle ne l’a pas quitté.
Que penser de tout ça ? Je vous ai donné quelques propositions et notamment la problématique carrément manichéenne. Disons clairement les mots : on a la femme bien d’un côté et de l’autre la salope. Parce qu’on a quand même un personnage féminin, Mia, dont l’unique but est de se taper son patron marié. C’est quand même assez limitatif et la vérité c’est qu’on ne sait rien d’elle, elle n’est définie que par son intérêt pour son patron et par ce côté diabolique. Encore une fois, c’est too much et le scénario appuie sans cesse dessus alors qu’on a très bien compris où il voulait en venir.
Et surtout, au milieu de ça, on a un personnage masculin qui n’est jamais clairement montré du doigt. La méchante dans l’histoire, c’est Mia et le pauvre patron, s’est fait ensorcelé. Je trouve qu’il est très déresponsabilisé par le scénario alors que franchement, il est dégueulasse avec sa femme. Et en plus, ici, on a encore l’idée du sacrifice pour la famille, sacrifice féminin bien entendu, parce que Karen fait bonne figure pour ses enfants et il semble qu’elle reste avec son mari même s’il on sait à quel point il est difficile pour une femme au foyer d’avoir les moyens de quitter sont mari.
Encore une fois, on peut s’interroger sur le message du film. Sachant qu’en plus, il s’adresse majoritairement aux femmes – on reviendra là-dessus – je trouve qu’on a ici une sorte de mise en garde pour les femmes, envers les femmes. C’est un peu moche.
Grossophobie et classisme: le cas David et Natalie
Attaquons maintenant le couple phare de Love actually, c’est celui de David, joué par Hugh Grant et Natalie, interprétée par Martine McCutcheon, dont l’histoire dure 17 minutes à l’écran. Je sais que je ne vais pas me faire des amis, parce que ce couple est particulièrement populaire mais allons-y quand même!
David, qui, ceci dit en passant, est le frère de Karen, (la femme trompée) vient tout juste d’être nommé premier ministre et on le voit arrivé au 10 Downing Street pour prendre ses fonctions. On lui présente son personnel, et, je sais que le personnage de Hugh Grant est très populaire parce qu’il est cool et qu’on adore la scène où il danse sur son lieu de travail mais je tiens quand même à faire remarquer que, quand on lui présente sa gouvernante, le premier truc qu’il lui dit que ce sera beaucoup facile avec lui qu’avec le précédent premier ministre puisqu’il n’a pas d’enfant à gérer et « pas de femme hystérique ».
Bim, le cliché de l’épouse hystérique. Ça, c’est fait.
Eh oui, David est misogyne, lui aussi.
Arrive ensuite la présentation de Natalie et là, bizarrement, elle n’a pas d’intitulée, Natalie, contrairement à la gouvernante qui est présentée comme gouvernante. Non, Natalie est juste nouvelle. Bref, la pauvre Natalie rate sa présentation en appelant David par son prénom et elle se reprend en jurant comme un charretier:
– » j’avais le sentiment que le 1er jour j’allais merder comme une conne. »
Ici, on a une différence sociale clairement marquée par le langage : on sent que Natalie est issue d’un milieu modeste, et c’est d’ailleurs là une des problématiques du couple : la différence de statut social.
Bon clairement, le premier ministre est directement sous le charme (oui faut se dépêcher, on n’a que 17 minutes pour eux, je vous rappelle).
Arrive le conseil des ministres où on prépare la venue du président des États-Unis et, si vous doutiez que David était misogyne, rappelez-vous cette petite phrase charmante qu’il lance :
« Qui faut-il culbuter ici pour avoir une tasse de thé et des biscuits aux chocolat. »
Et, encore une fois, c’est complètement gratuit.
Lorsque David cherche à connaître des détails de la vie privée de Natalie, elle lui explique est séparée de son petit ami parce que :
» Il disait que je devenais obèse, qu’aucun homme ne voudrait d’une fille qui aurait deux troncs d’arbre à la place des cuisses. »
Là, on touche un autre gros problème du film qu’on a vaguement entrevu tout à l’heure : la grossophobie. Et là, le scénariste n’y va pas avec le dos de la cuiller. Le personnage de Natalie, on va le voir, est systématiquement renvoyé à son poids. Inutile de dire que l’actrice est superbe.
Les choses se corsent avec l’arrivée du président américain qui est, lui aussi, une espèce de caricature qui croise Natalie et dit au premier ministre anglais :
« Sacrée petite salope que vous avez là, vous avez vu cette paire de mamelles. »
Aucun personnage ne se fait autant insulté dans Love actually que Natalie. Mais, encore une fois, on n’a pas le temps, il nous faut un antagoniste et il faut que le public comprenne bien qu’il est pas gentil donc on en fait une caricature.
Le plus drôle, où le plus risible, c’est que, à partir de là, le combat politique des deux hommes devient une sorte de combat viril assez malvenu où il n’y a plus de frontière entre le politique et le « sentimental ». Le basculement se produit quand David surprend le président des États-Unis qui semble être prêt à tenter d’embrasser la pauvre Natalie qui vient servir le thé et les scones, Natalie, très gênée et raide comme un piquet. S’ensuit le discours assez hallucinant du premier ministre anglais devant les journalistes où, alors qu’il avait dit à ses collaborateurs qu’il ferait le dos rond devant les USA, il décide finalement d’annoncer clairement son hostilité envers le président des États-Unis.
Alors, encore une fois, avec l’aide la musique grandiloquente, on a l’impression d’un homme qui défend la femme qu’il aime devant son agresseur. Eh ben je suis désolée de le dire comme ça mais on assiste à un concours de celui qui la plus grosse pour gagner une femme à qui on n’a pas demandé son avis.
On ne demande tellement pas son avis à Natalie que David, peut-être parce qu’il s’est rendu compte qu’il avait joué avec son pays juste à cause de ses hormones, demande à ce que Natalie soit affectée ailleurs qu’à son service. Deux choses à dire là-dessus. Déjà, le dialogue hallucinant de David avec sa collaboratrice:
« – Voyez, Natalie?
– La petite boulotte ?
– Vous trouvez qu’elle est boulotte?
– Il y a quand même une corpulence au niveau des cuisses et des fesses aussi. »
En termes de grossphobie, on touche le fond, là.
Et je voudrais aussi attirer votre attention sur cette décision de faire muter Natalie pour, je le rappelle, des raisons qui n’ont rien de professionnel. Lui, il arrive pas à bosser quand elle est là, mais elle si. En fait ça a un nom tout ça : ça s’appelle une violence économique. Ce n’est certes pas la pire mais elle est réelle. Natalie est obligée de changer de travail pour le confort de David. Chloé Thibaud, dans son livre, rappelle que perdre son job à cause d’un homme est monnaie courante dans les comédies romantiques (coucou Bridget Jones) et que, dans une histoire d’amour avec son patron, même si elle est consentante, une femme a toujours plus à perdre. Et surtout on a souvent une romanisation de ces violences économiques. Et Love actually ne fait pas exception. Après tout, David congédie Natalie parce qu’il est dépassé par ses sentiments.
Est-ce que c’est romantique ?
Et pour qui c’est romantique ?
Allez continuons.
Natalie est remplacée, David est malheureux et arrive la veille de Noël lors de laquelle il lit un échantillon de cartes de vœux qui lui sont adressées . Et dans ces cartes il y en a une de Natalie où elle s’excuse – mais de quoi ? – en disant qu’elle a été une parfaite imbécile. Ou comment mettre en scène une victime de harcèlement, puisque le président l’a harcelée, en minimisant tout à fait son statut de victime et en lui collant même l’étiquette de responsable.
Charmant.
Chacun voit midi à sa porte mais, personnellement, j’aurais tendance à dire qu’elle aurait pu lui faire remarquer qu’il n’était pas très doué quand il s’agit de protéger son personnel des agressions sexuelles de ses collaborateurs. Je ne suis sans doute pas assez romantique, que voulez-vous!
Bon, terminons, on voit donc David partir à la recherche de Natalie, ce qui donne lieu à des scènes assez cocasses puisqu’il ne connait pas son adresse exacte et sonne à toutes les portes de sa rue, jusqu’à ce qu’il trouve la bonne. Natalie est en compagnie de toute sa famille et on apprend que son père la surnomme « Bouboule ». Rappelez-vous, le spectateur est un jambon et il n’a sans doute toujours pas encore compris que Natalie devait être considérée comme grosse.
Le premier ministre se retrouve embarqué au spectacle de l’école, le même où se trouve notre couple femme trompée et mari trompeur, où ils finissent par s’embrasser et se faire griller par tout le monde.
Et je ne résiste pas au déplaisir de vous parler de la scène finale à l’aéroport où Natalie saute dans les bras de David qui revient de voyage, et David de lui dire :
« Tu pèses tu tonnes! »
Des jambons, je vous dit…
Jamie et Aurelia: l'engagement à l'aveugle
L’intrigue la plus longue de Love actually est consacrée à Jamie et Aurelia. Enfin, longue… Elle fait 18 minutes. Et on n’est pas très loin d’une intrigue de téléfilm de Noël sur ce coup-là.
On y découvre Jamie, joué par Colin Firth, écrivain, fou amoureux de sa femme et qui découvre par hasard que sa femme le trompe… avec son frère (son frère à lui, hein !)
« J’ai retrouvé la boîte de préservatif, on a le temps de la finir avant que le gros naze arrive. »
Sa femme est une belle caricature aussi.
Jamie, comme tout artiste au cœur brisé qui se respecte, s’isole dans une maison à la campagne pour continuer à écrire (qui plus est sur une machine à écrire, ça m’a toujours fait rire). On a ici l’archétype du mari trompé. Aurelia, interprété par Lucia Moniz, est sa nouvelle femme de ménage. Elle est portugaise et n’a pas spécialement l’air heureuse d’être là. Elle ne parle pas un mot d’anglais (ou de français pour la VF) et, lui, ne parle pas un mot de portugais. Comme ils sont un peu gênés, il se met à lui parler quand même, même si elle ne comprend pas.
Et se met en place une sorte de mode de fonctionnement où ils se parlent, chacun dans leur langue et parfois se répondent sans le savoir. Ils commencent à s’habituer l’un à l’autre et une sorte de climat d’intimité s’installe entre eux au point qu’un jour où tous les feuilles du roman de Jamie s’envolent dans l’espèce de mare à côté de la maison, Aurelia se déshabille pour aller les chercher, ce qui donne lieu à une magnifique scène de male gaze où on a un superbe ralenti sur Aurelia en sous-vêtement tandis que Jamie enlève seulement son pull. Je suis persuadée que les spectatrices auraient beaucoup aimé un ralenti sur Colin Firth en caleçon.
Arrive la période de Noël et Jamie amène Aurelia à l’aéroport d’où elle va regagner le Portugal (pour les fêtes ou pour toute la vie, on ne sait pas). Ils sont tristes tous les deux et elle l’embrasse sur la bouche avant de partir.
Je fais un petit aparté sur ce baiser parce qu’il n’est pas consenti. Alors, nous, les téléspectateurs et téléspectatrices, on sait qu’il en a envie, mais Aurelia elle, ne peut pas le savoir, pour la simple et bonne raison qu’ils n’ont jamais eu une conversation.
On peut opposer qu’elle doit bien sentir ces choses-là, mais en termes de consentement, on n’est pas bons. Tout ça pour montrer que le consentement, ça marche dans les deux sens, quand la femme est embrassée, mais aussi quand c’est l’homme qui est embrassé.
Revenons à nos moutons.
Jamie finit par apprendre le portugais et, la veille de Noël, il plante sa famille sur le pas de la porte et part au Portugal sur un coup de tête. Il se retrouve à chercher Aurelia dans son tout petit village. Chez elle il tombe sur son père et sa sœur. Jamie apprend alors que Aurelia travaille comme serveuse dans un restaurant. Il part la retrouver suivi du père, de la sœur et de la moitié du village dans une scène assez rocambolesque. Arrivés au restaurant, on découvre qu’Aurelia a appris l’anglais de son côté. Et là, Jamie la demande en mariage, elle accepte, y a de la musique avec des violons et tous les clients du restaurant applaudissent.
Allez, on enlève les violons : est-ce que, vous, vous accepteriez la demande en mariage d’un homme (ou d’une femme) avec qui vous n’avez jamais eu une conversation ? On est vraiment, là, dans le cliché le plus total des comédies romantiques, mais un cliché éloigné de la réalité qui laisse croire qu’on peut s’engager sans connaître l’autre. Avouez que c’est quand même particulier.
Sans compter que cette intrigue fait aussi la part belle à la grossophobie à travers le personnage de la sœur d’Aurelia qui est renvoyée à son statut de grosse et qui, elle-même, dit à Aurelia qu’elle est un squelette.
Franchement c’est lassant.
Sam et Joanna: l'amour à hauteur d'enfant
On va (presque) terminé avec l’histoire de Sam, joué par le tout jeune Thomas Sangster, qui vient de perdre sa mère des suites d’une longue maladie et qui reste donc seul avec son beau-père Daniel, joué par Liam Neeson qui s’inquiète beaucoup pour le petit garçon qui semble déprimé. Sam finit par avouer qu’il est amoureux. Si son beau-père est soulagé, Sam lui, prend la chose très au sérieux
« – Franchement Samuel, je me sens soulagé!
– Pourquoi?
– Parce que ça aurait pu être beaucoup plus grave!
– Plus grave que l’intolérable souffrance d’être amoureux?
– Ah, oui, c’est un point de vue. »
Parce que la particularité de Sam, c’est qu’il parle d’amour très sérieusement, au moins aussi sérieusement qu’un adulte pourrait le faire.
Sam est amoureux d’une certaine Joanna, très populaire à l’école, qui est américaine et doit repartir aux États-Unis après la fête de l’école (la fameuse fête de l’école où la plupart des personnages se retrouvent à la fin du film). Joanna doit y chanter, Sam décide donc d’apprendre la batterie avec une abnégation qui force le respect.
Le spectacle de l’école arrive et on découvre enfin la fameuse Joanna, jouée par Olivia Olson, qui chante incroyablement bien (sur du Mariah Carey, évidemment, on est à Noël) avec Sam à la batterie. Elle quitte le spectacle pour l’aéroport, Sam, n’arrive pas à la rattraper à temps pour lui avouer ses sentiments, il part donc lui aussi pour l’aéroport avec son beau-père, force les contrôles de sécurité du haut de ses 9 ans, sème les contrôleurs à ses trousses pour rattraper Joanna. Il a peine le temps de lui parler avant d’être rattrapé par la sécurité. Il est finalement ramené auprès de Daniel mais Joanna le suit et lui fait un petit bisou tout mignon sur la joue avant de partir.
Alors c’est mignon et il n’y a rien à redire sur la relation entre les deux protagonistes enfants (en même temps, ils n’interagissent quasiment jamais ensemble).
Par contre, désolée de tout gâcher mais il y a quand même deux ou trois choses qui posent question. Déjà, on a ici un grand cliché des films d’amour en général : l’amour qui fait souffrir. Sam le dit clairement.
C’est un cliché qui n’est pas très sain et qui sonne étrangement dans la bouche d’un enfant je trouve. On apprend aussi que la mère de Sam s’appelait aussi Joana. Je trouve ça assez glauque comme détail, était-ce bien utile?
Et surtout, il y a des dialogues un peu questionnant entre Daniel et Sam. Exemple, quand Sam lui explique que Joanna très populaire et que tout le monde l’aime, Daniel répond:
« C’est niqué pour toi. »
Okay, pour l’espoir on repassera.
Lors d’une autre scène, Sam, qui se comporte décidément plus comme un adulte que comme un enfant demande à Daniel comment ça va côté cœur. Réponse du beau-père :
« – L’affaire était entendue depuis longtemps. Sauf si, bien sûr, Claudia Schiffer appelle. Auquel cas, tu me débarrasseras le plancher en vitesse, sale petit orphelin.
-Ah bon?
– Oui, parce qu’on s’enverra en l’air dans chaque pièce, y compris ta chambre. »
Ça fait 5 semaine que la mère du petit est morte. Drôle d’éducation.
En parlant d’éducation, il y a une scène qui, moi, me choque particulièrement. Sam décide faire de la musique et surtout de la batterie après avoir vu le clip de la chanson de Noël de Billy. Vous vous souvenez de Billy et de son clip où on voit les musicienne court vêtues faire des geste sexuellement explicites? Et notamment la batteuse qui joue les jambes tellement écartées que sa jupe est entièrement remontée et qu’on voit sa culotte. Il y a des gros plans de Sam dont on voit qu’il fasciné par ce qu’il voit. On a là le male gaze absolu à travers le clip musical qui influence ce petit garçon.
Et, le problème est que l’influence que pourrait avoir ces images sur un enfant n’est pas dénoncé. Oh que non ! Au contraire ! Dans le film, ça l’encourage à faire de la musique et l’aide à gagner celle qu’il appelle « l’amour de sa vie ». Encore une image totalement erronée : le male gaze n’éduque pas les enfants, ça leur apprend juste à s’attendre à ce que les femmes fassent la même chose que dans ce clip musical par exemple. Et je trouve que d’avoir soumis l’idée de Sam de faire de la musique au visionnage de ce clip, c’est tout simplement déplacé.
Le couple le plus sain de Love Actually: Jack et Judy
Vous allez finir par vous demander si je sauve quelque chose de ce film! Eh bien il y a une intrigue que je sauve. C’est la plus courte d’ailleurs. C’est celle de Jack et Judy qui est plutôt mignonne en plus d’être assez drôle.
Jack, joué par Martin Freeman et Judy, interprétée par Joana Page, bossent dans le cinéma. Ils sont des sortes de doublures pour les scènes intimes. Comme ils ne se connaissent pas, ils font connaissance en papotant de choses et d’autres (le traffic automobile dans Londres, le premier ministre) pendant qu’ils miment des actes sexuels. Cette intrigue joue à la fois sur le contraste entre le côté mignon de ces deux personnes qui, eux, font vraiment connaissance et le contexte extrêmement gênant dans lesquels ils font connaissance d’autant qu’il y a une gradation assez comique puisque plus on avance dans le film plus les scènes qu’ils miment vont loin sans qu’ils changent leur papotage. Le summum c’est quand même quand Jack propose timidement à Judy d’aller boire un verre pour Noël alors qu’ils sont tous les deux nus en train de mimer une scène très…
La veille de Noël, il la raccompagne chez elle et l’embrasse enfin sur le perron de la porte.
Et c’est tout.
On les retrouve lors de la scène finale à l’aéroport et on comprend qu’ils sont mariés.
La relation entre les deux personnages est complètement saine et safe. Jack, au moment où, pour les besoins du film, doit toucher la poitrine de Judy, lui demande si elle est d’accord. On a une scène de consentement, qui passe complètement inaperçue d’ailleurs, ce qui montre que ça s’insère très bien dans les histoires d’amour.
Alors, tout n’est pas parfait, hein, on a un beau male gaze sur les scènes dénudées où on voit la poitrine de Joana Page mais, bizarrement, on ne voit jamais les fesse de Martin Freeman.
Si l’intrigue de Jack et Judy ne vous a pas marquée, c’est pas très étonnant. Outre qu’il n’y a pas drame ou de problème particulier à résoudre dans cette intrigue, il faut surtout dire qu’elle ne dure, en tout et pour tout, que 3 minutes sur les 2h15 que dure Love actually.
Pas de quoi marquer les esprits donc.
Love Actually, la comédie romantique reine des clichés sexistes?
Vous avouerez que, pour une comédie romantique, Love actually cumule beaucoup de clichés sexistes et grossophobes. Mais pas que. On a aussi les clichés classistes, c’est-à-dire liés à l’appartenance sociale. Natalie en est un bon exemple : elle vient d’un milieu modeste et jure comme une charretière et, ça vous a peut-être échappé, mais, tout au long du film on a quand même trois idylles entre des patrons et leurs subalternes femmes : on a David, le premier ministre et Natalie qui lui sert le thé et les petits gâteaux, Harry et Mia, sa secrétaire rentre-dedans et Jamie l’écrivain et Aurelia, sa femme de ménage. Et non seulement elles sont subalternes mais elles sont hiérarchiquement très en dessous d’eux. Ça aussi, c’est un cliché sexiste récurrent dans les comédies romantiques et il est rare que les rôles soient inversés. On est toujours dans une forme de regarde masculin.
Le problème ici c’est que toute la vision « romantique » du film est basée sur ce male gaze. La grossophobie en fait partie, le classisme aussi, mais surtout les archétypes féminins qui émaillent le film : la femme trompée, la salope, la femme qui s’occupe en priorité des autres, la femme objet de désir, la femme objectifiée tout court… Tout ça ce sont des archétypes liés au regard masculin sur la femme.
On peut aussi s’interroger sur le message global du film. Ce message, c’est Hugh Grant qui le donne en voix off au début du film, un message qui a lui donné son titre qui, pour la petite histoire, devait être Love in London. Ce message c’est : l’amour, finalement, est partout (« Love actually is all around »). Mais où est-il cet amour dans le film ? Avec Colin, c’est pas de l’amour, c’est du harcèlement, le chanteur Billy, c’est de l’amitié mais que quand ça l’arrange, Harry et Karen c’est un amour mort, Juliet et Mark c’est un autre forme de harcèlement, Jamie et Aurelia c’est un amour basé sur du vent, Sarah et Karl c’est un amour sacrifié sur l’autel de la famille. Il n’y a d’amour presque nulle part. Sans compter la douleur ou la dangerosité de certains comportements montrés comme romantiques : je parle même pas de Colin et de son harcèlement quotidien, mais du fait d’être stalké par son témoin de mariage, épouser quelqu’un qu’on ne connaît pas…
Alors, l’argument principal que vous pourrez m’opposer c’est que c’est juste un film, que c’est pas grand chose.
Eh bien détrompez-vous, ce n’est pas juste un film : ces clichés et problématiques sont récurrents dans la très grande majorité des comédies romantiques. Ces fictions romantisent l’obsession (comme pour Mark et ses pancartes), l’irrationalité, les débordements, et ça conditionne à croire que l’amour, le vrai, est sacrificiel. Chloé Thibaud le montre très bien dans son livre : la télévision, le cinéma nous amènent à désirer ces formes de violence et ça apprend par exemple aux garçons que forcer c’est normal et, dans le cas de Colin, qu’en plus, ils en seront grandement récompensés.
Concernant ce cas particulier, il faut savoir que la chercheuse Julia R. Lippman a mené une étude à l’université du Michigan sur l’influence de ces films sur nos relations amoureuses. Ses conclusions sont sans appel : les femmes acceptent plus facilement les comportements obsessionnels s’ils ont une perspective romantique, du fait du visionnage des comédies romantiques. C’est ce qu’on appelle le mythe du harcèlement qui minimise sa gravité.
Alors, évidemment, Love actually c’est de la fiction. Mais quand les comédies romantiques vous assènent le même message – pensez à Bridget Jones et son poids – ça finit par rentrer. D’ailleurs, je précise que ces comportements problématiques sont acceptés dans la fiction mais que dans un seul sens. La « persévérance romantique », c’est-à-dire une personne qui s’accroche un peu trop à quelqu’un qui n’est pas réceptif, ne fonctionne, dans les films que si c’est un homme. Si ce comportement est le fait d’une femme elle est très souvent dépeinte folle ou tueuse (ex : Liaisons fatales ou Basic Instinct).
Pour finir sur le sujet, je voudrais revenir sur le fait que les premiers consommateurs de comédies romantiques sont des consommatrices. On le sait et de fait, ça questionne d’autant plus sur la vision male gaze de l’amour et des relations hommes/femmes. Ces films apprennent aux téléspectatrices qu’elles ne comptent pas. Dans Love actually, le film est quasi entièrement focalisé sur les hommes, que ce soit Colin, le chanteur Billy et son manager ; pour David, le premier ministre et Natalie, c’est David qu’on suit ; pour le triangle amoureux avec Juliet et Mark, le film se focalise sur Mark ; pour le triangle amoureux Harry, Karen et Mia, c’est Harry qui est au centre de l’intrigue ; concernant Sam, le petit garçon, c’est son histoire que l’on suit, on ne découvre Joana qu’à la toute fin ; pour Jamie et Aurelia, c’est Jamie qui est le personnage principal. Dans l’autre sens, il n’y a guère, encore une fois que Jack et Judy, qu’on ne voit que trois minutes, qui partagent l’affiche et l’intrigue de Sarah et Karl ou c’est Sarah qui en est le centre.
Pourquoi n’y a-t-il pas plus de femmes au centre des intrigues dans un film dont on sait qu’il sera surtout regardé par un public féminin ?
C’est d’autant plus important que, comme on l’a vu, il y a toujours un phénomène d’identification. Et c’est d’ailleurs le but recherché au cinéma : qu’on se mette à la place des personnages. Alors faisons un petit exercice. À qui, en tant que femme ou si vous en étiez une, auriez-vous envie de vous identifier ? Et attention, en tant que femme blanche hétérosexuelle, hein. Je ne sais pas si vous l’avez remarqué mais il n’y a que trois personnages qui ne sont pas blancs : Tony, le pote de Colin qui sert seulement à lui donner la réplique, Peter, le mari de Juliet, qu’on voit très peu et Joana, la petite fille, qu’on voit extrêmement peu aussi. Bref, à qui, aimeriez-vous vous identifier : la femme trompée ? La salope ? La fille sans espoir qui abandonne le mec dont elle est amoureuse pour s’occuper de sa famille ? Une fille à qui tout le monde dit qu’elle est grosse ? Pour un film romantique dit choral, on n’a pas beaucoup de modèles féminins sains à qui s’identifier mais des modèles qui nous font intégrer des mauvais comportements, voire des comportements toxiques comme étant romantiques et donc, à les accepter dans la vraie vie.
J’ai lu que Love actually avait « mal vieilli ». En vrai, il a toujours été affreusement conservateur. C’est notre regard qui change. Richard Curtis, le scénariste et réalisateur a au moins fait son mea culpa sur la question de la grossophobie grâce à sa fille et a aussi remarqué qu’il y avait un peu trop d’idylles entre des patrons et des subalternes.
Et quand j’avais parlé de Love Actually sur les réseaux sociaux, en 2023, on m’avait très justement fait remarquer qu’il était sorti avant #Metoo. C’est vrai, mais c’est un faux problème. Et pour vous le montrer, je vais vous parler – très rapidement cette fois-ci – d’un autre film pré #Metoo de la même période.
The holiday: une comédie romantique en contre-exemple
Vous connaissez sans doute aussi ce film, c’est The Holiday, sorti en 2006 (3 ans après Love Actually donc), une autre comédie romantique de Noël. Bien qu’il ne se focalise que sur deux idylles, il n’en est pas moins servi pas un casting prestigieux. Comme pour Love actually, si vous n’avez pas vu le film, attention, il va y avoir des spoilers à fond, sachez-le.
Alors, l’histoire de The Holiday, c’est celle de deux femmes à un moment compliqué de leur vie qui décident d’échanger leur maison pour les vacances de Noël. Le pitch est simple et on voit d’entrée la différence avec Love actually : on va suivre des femmes.
La première c’est Iris Simpkins, jouée par Kate Winslet. Elle habite un charmant petit cottage dans le Surrey, près de Londres où elle travaille en tant que chroniqueuse au Daily Telegraph. Profondément gentille, discrète, Iris est surtout une romantique, tout l’inverse d’Amanda Woods, interprétée par Cameron Diaz. Amanda habite dans une immense maison à Los Angeles et crée des bandes annonces pour Hollywood grâce à sa propre entreprise. Amanda est extravertie, droguée du travail, et pas romantique pour un rond.
Le personnage d'Iris: de la romantique à la femme de caractère
Commençons avec Iris. Iris nous est présentée comme une amoureuse malheureuse. Elle a été en couple trois ans avec Jasper (joué par Rufus Sewell), un collègue. D’entrée de jeu, elle nous dit en voix off que ces trois années ont été les pires de sa vie, bercées de larmes et de valium. Il l’a trompée mais on découvre qu’elle est toujours amie avec lui, qu’elle a de longues conservations avec lui alors que lui-même est en couple avec une autre collègue, celle avec qui il a trompée Iris. Ce qui est intéressant c’est la conversation qu’elle a au début du film avec encore une autre collègue qui essaie de lui ouvrir les yeux mais rien n’y fait, elle défend Jasper.
Et quand on le découvre à l’écran, on le voit qui continue à la draguer malgré la situation. Il lui tient un discours comme s’il était encore amoureux d’elle, c’est assez perturbant et déplaisant. Le parti pris du film est clairement montré quand, juste après que Jasper lui ait fait son numéro de charme, Iris apprend, devant toute sa boîte, qu’il va se marier.
Et ça c’est intéressant parce que, clairement, on voit bien qu’il se comporte mal avec Iris, comme s’il essayait de faire en sorte qu’elle reste amoureuse de lui alors qui lui n’est pas disponible. Il la manipule, et, je ne sais pas ce que vous en pensez mais – et je sais que ce terme est utilisé n’importe comment – après vérification de la définition clinique, je pense que Jasper est un pervers narcissique. Bref, c’est pas ça le plus important, le plus important c’est que même si Iris le défend, le film nous le montre de façon à ce qu’on voit ce qu’il est. Ce n’est pas un homme bien et on ne nous le montre pas comme un homme bien. Et ça, c’est déjà très différent de Love actually.
Notre Iris est bien sûr désespérée et le mail d’Amanda qui répond à sa proposition d’échange de maison sur internet tombe à pic. Iris est décidé à essayer de ne plus être amoureuse de Jasper alors qu’elle s’envole pour Los Angeles.
Elle découvre avec une joie immense la baraque tout aussi immense d’Amanda et fait connaissance en passant avec Miles, interprété par Joe Black, musicien pour le cinéma et ami de l’ex d’Amanda. Miles est lui-même en couple avec Magguy dont il a l’air très amoureux.
Petit à petit Iris commence à prendre goût à l’endroit, on voit qu’elle prend plaisir à ses vacances, jusqu’à ce que Jasper la contacte. Pourquoi ? Parce qu’il a besoin d’elle pour relire des pages qu’il a écrit. Et Iris, bien qu’ennuyée, n’arrive pas à dire non.
C’est alors qu’elle rencontre Arthur Abbott, joué par Eli Wallach. C’est un vieux monsieur veuf et très seul, qui vit près de chez Amanda. Et la gentillesse qu’Iris lui témoigne, au lieu de lui revenir en pleine figure comme ce qu’elle expérimente jusqu’à présent, commence à lui être renvoyée à travers ce personnage qui va devenir une sorte de mentor très discret. Arthur est un ancien dialoguiste à Hollywood, multi récompensé et, il comprend très vite la problématique d’Iris. Il lui dit que si elle était dans un film, elle en serait la star et n’aurait jamais un rôle secondaire. Et à partir de là, il va lui fournir des listes de films à regarder et dans chacun de ces films il y a « une femme de caractère« .
Parallèlement, elle recroise plusieurs fois Miles et ils finissent par nouer des liens, notamment aussi grâce au cinéma. Sauf que Miles découvre la veille de Noël que sa petite amie le trompe. C’est au détour d’une conversation à cœur ouvert entre Iris et Miles qu’on comprend qu’ils ont les mêmes problématiques, qu’ils rencontrent les mêmes types de gens. Et clairement, Miles est un vrai gentil, comme Iris.
Donc, au fil de son séjour à Los Angeles, Iris rencontre des gens bien, qui lui veulent du bien. Cet équilibre manque de se rompre, quand elle trouve Jasper devant sa porte. Eh oui, il a compris qu’il commençait à perdre sa proie, il est venu resserrer ses griffes. Et Iris manque de tomber dans le panneau et il faut dire qu’il met le paquet avec des « Je ne veux pas te perdre ». Sauf qu’Iris, elle le dit elle-même, elle est devenue une femme de caractère. Et quand elle comprend que Jasper va quand même se marier malgré tous ses beaux serments d’amour, elle l’envoie bouler dans une scène qui fait autant de bien au personnage d’Iris qu’à nous, de l’autre côté de l’écran. Elle s’est libérée de son emprise.
Je pense que rien qu’avec mon résumé, vous voyez la différence avec Love Actually. On a suivi la transformation d’Iris de bout en bout, Iris qui a délaissé un homme qui la faisait souffrir pour un homme qui lui veut du bien. C’est quand même nettement plus sain vous ne croyez pas ?
Et d’ailleurs, on a ici un exemple de personnages que j’appellerais parallèles. Iris a trouvé quelqu’un qui avait les mêmes qualités qu’elle. Une sorte de miroir masculin.
Et c’est l’exact inverse de ce qui arrive à Amanda.
Le personnage d'Amanda: De la femme de caractère à la romantique
Il faut dire qu’Amanda c’est déjà une femme de caractère, elle a beaucoup d’assurance. On la découvre alors qu’elle largue son mec, Ethan (joué par Edward Burns) qui l’a trompée. Aussi. C’est lui qui nous donne la problématique d’Amanda : il lui reproche de trop travailler, de foutre en l’air toutes ses relations, de ne jamais pleurer, et notamment alors qu’ils sont en train de se séparer. Et le fait est qu’Amanda assume très bien de ne jamais pleurer. Mais, en filigrane, Ethan ne lui reprocherait-il pas de ne pas être suffisamment ce qu’on attend d’une femme : qu’elle ne travaille pas trop, qu’elle soit toujours dans l’émotion? Mais Amanda n’est pas du tout comme ça.
C’est dans ce contexte que cette droguée du travail hyper stressée part s’installer dans le petit cottage d’Iris. Le contraste est assez énorme. On la voit essayer de lire, essayer de faire les trucs que font les gens en vacances mais elle n’y arrive pas et moins de 6h après son arrivée elle refait sa valise pour repartir le lendemain. Sauf que la nuit suivante, le frère d’Iris, Graham, interprété par Jude Law, frappe à sa porte, légèrement bourré. Il n’est pas au courant que sa sœur est partie et a l’habitude de dormir sur son canapé quand il fait une soirée un peu arrosée.
Malgré la surprise, Amanda le laisse rentrer et on voit bien qu’elle est charmée. Ils papotent un peu, et elle accepte de le laisser dormir sur le canapé sauf qu’au moment de lui dire bonne nuit, il l’embrasse sur la bouche. Petit aparté, il n’y a pas de consentement. Oui, il y a quelques mauvais clichés dans ce film aussi. Toutefois, Amanda, qui est décidément très pro-active, lui demande de recommencer et lui propose même qu’ils s’envoient en l’air. Elle sait qu’il n’est pas sobre, elle pense même que c’est un atout parce que son ex lui a dit, en gros, qu’elle était un mauvais coup. Sans doute pense-telle que ça se verra moins si le mec est saoul.
Bref, on a une histoire qui commence un peu par la fin. En même temps, pour quelqu’un qui n’est pas romantique, c’est peut-être la meilleure façon de faire.
Le lendemain, après s’être envoyés en l’air, ils discutent tous les deux et je trouve leur conversation assez intéressante. Il lui tend de perches pour voir comment elle voit les choses entre eux, elle n’est pas sûre, et lui fait remarquer très justement qu’elle est loin de le connaître. On a beau être dans une comédie romantique, le personnage d’Amanda reste très lucide.
Et Graham est aussi intéressant parce qu’il lui fait comprendre que toute les choses qui font d’elle une fille différente comme son ex lui a reproché, eh bien ce sont ces choses qui, selon Graham la rende intéressante. Enfin un personnage féminin valorisé par un personnage masculin.
Mieux encore. Amanda finit par annuler son retour et le lendemain soir, c’est elle qui boit comme un trou avec Graham. Et le matin, quand elle essaie de se souvenir s’ils ont couché ensemble, il lui dit quoi ? Qu’il évite de coucher avec des femmes inconscientes. On n’y fait pas attention parce que c’est dans le fil de la conversation, c’est naturel mais nous avons là, une phrase importante en matière de consentement.
Ils finissent par avoir un vrai rendez-vous tous les deux. On apprend d’ailleurs seulement à ce moment-là le travail de Graham qui n’a absolument aucune importance dans l’histoire et on apprend aussi qu’Amanda a arrêté de pleurer à 15 ans après l’avoir beaucoup fait pour le divorce de ses parents. Et lui, il lui répond qu’il pleure tout le temps.
Ils continuent à se tourner autour quand Amanda découvre finalement que Graham est veuf et père de deux petites filles et que c’est difficile pour lui de concilier une vie amoureuse avec sa vie de famille.
Ils se rendent compte que leurs univers sont très différents et ils essaient de trouver une solution au problème mais n’y arrivent pas. Et quand Graham lui dit qu’il est amoureux d’elle, elle botte en touche et pense qu’ils doivent profiter de ce qu’ils ont. Ce n’est que lorsqu’elle part pour l’aéroport à la fin de ses vacances qu’elle a le déclic et elle se met à pleurer dans le taxi: elle a enfin dépassé son traumatisme. Elle fait donc demi-tour et retourne au cottage où elle trouve le pauvre Graham en larmes.
The Holiday, un film romantique au féminin
Pour être franche, des deux intrigues, celle d’Amanda est de loin ma préférée parce que les personnages d’Amanda et Graham proposent quelque chose qu’on trouve assez peu dans les comédies romantiques : une inversion des codes. Amanda a toutes les caractéristiques que les comédies romantiques, mais pas que, attribuent aux hommes : elle est à fond dans son boulot, elle est chef d’entreprise, elle dit même par deux fois qu’elle gagne beaucoup d’argent, l’amour, c’est pas son truc, elle n’est pas romantique, elle ne pleure pas, elle a beaucoup d’assurance et elle n’aime pas les préliminaires. Graham, de son côté, a des caractéristiques très souvent présentées comme féminines. Il est père célibataire – alors, certes il a un job valorisant mais il est à peine évoqué – il parle de ses failles ouvertement, il dit à Amanda à quel point c’est difficile pour lui d’être dans cette situation, qu’il est à la fois le père et la mère, qu’il lit des livres de pédiatrie, de cuisine, qu’il apprend à coudre. Attention, il ne s’en plaint pas mais c’est comme ça qu’il se définit auprès d’Amanda. Et il pleure beaucoup.
Là où Iris a trouvé un équilibre avec quelqu’un qui lui ressemble, Amanda trouve son équilibre avec son opposé. D’ailleurs, ça fonctionne un peu comme si Iris et Amanda, avait pris un petit morceau du caractère de l’autre en empruntant sa maison.
On a des portraits de personnages nuancés et crédibles, que ce soit du côté des hommes et des femmes, même si on reste encore dans des idylles blanches et hétérosexuelles. En tous cas, si on fait le même exercice qu’avec Love Actually et qu’on regarde à qui les femmes peuvent s’identifier dans le film, je pense (que ce soit en termes de caractère ou en termes d’intrigue) qu’elle peuvent se retrouver dans un des deux personnages ou avoir envie de s’y identifier parce qu’on leur fait vivre de belles choses.
Et les personnages masculins ne sont pas en reste non plus. Par contre, ils proposent des alternatives aux clichés masculins habituels avec des hommes notamment beaucoup plus sensibles et qui l’assument très bien.
Et ce n’est sans doute pas un hasard si ce film a été écrit et réalisé par une femme, en l’occurrence Nancy Meyers.
Alors, The Holiday n’est pas exempt de clichés sexistes comme le baiser non consenti dont on a parlé ou comme le côté un peu hystérique d’Amanda qui va jusqu’à mettre un pain à son ex. Il faut le noter. Mais quitte à se mettre sous un plaid, avec une tasse de chocolat chaud pour regarder une comédie romantique de Noël, autant choisir celle qui nous fait le plus de bien, vous ne croyez pas ?
Crédits:
Extraits de films:
- Love actually (2003)
Musiques utilisées dans l’épisode:
- Christmas (Dana Music)
- Christmas atmosphere (Music for video)
- Christmas music (Yevhen Onoychenko)
- Jingle bells (Music for video)
- Merry christmas (Jérôme Chauvel)
- Christmas time (MC Quattro)
- Winter melancholy (Oliver Dee)
- The lights of the village
- Little toy house (Geoff Harvey)
- The land of wonder (Geoff Harvey)
- Leva eternity (Vitaly Levkin)
- Evening glow (Clavier Clavier)
- Make me a happy day
- If tou find my garden
- Libérée, délivrée (Anaïs Delva)
- Amzing grace (Music for video)
- Sounds like it’s christmas (Geoff Harvey)
- Sports music (Nick Valerson)
- All I want for christmas is you (Mariah Carey)
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