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« Des bonbons ou un sort !».
Ça fait maintenant une bonne vingtaine d’année que, chaque 31 octobre au soir, les enfants français, déguisés en fantôme ou en sorcière, frappent aux portes pour réclamer des bonbons. Quand cette fête a débarqué en France depuis les États-Unis, beaucoup ont pesté contre cette nouvelle lubie, clairement commerciale. Seulement… cette fête n’est pas américaine et, en débarquant sur le sol européen, revenue là où elle était née.
Samhain: les origines celtes d'Halloween
Ce que l'on sait de Samhain: les sources venues d'Irlande
Avant de commencer, il est toujours utile de faire un petit point historique. Les racines d’Halloween remontant au moins aux Celtes, revenons rapidement sur cette période.
Si certains chercheurs considèrent que les toutes premières traces de civilisation celte remontent à 2000 ans avant J.C., on considère généralement la période qui commence au 1er âge de fer, c’est-à-dire vers – 800, comme le véritable point de départ de la culture celte. À leur apogée, vers – 250, ils occupaient une très grande partie de l’Europe de l’Ouest et de l’Europe centrale.
Ceci étant dit, parlons aussi un peu des sources d’information que nous avons sur eux. Elles viennent majoritairement d’Irlande. Pourquoi ? Parce que c’est grâce à l’Irlande qu’on a des traces écrites de leur culture. L’Irlande a effectivement une particularité historique par rapport au reste du territoire européen qu’on vient d’évoquer : elle n’a jamais été romanisée.
Les romains ont envahi la grande majorité du continent au Ier siècle avant J.C. mais, à l’Ouest, ils se sont arrêtés en Grande Bretagne. De fait, alors que les romains ont petit à petit remplacer les coutumes locales par les leurs, effaçant peu à peu la culture celte du continent, les Celtes d’Irlande, eux, ont vécu tranquillement jusqu’au Ve siècle de notre ère (600 ans quand même!), c’est-à-dire jusqu’au Moyen-Âge. Les missionnaires catholiques ont alors traversé la mer pour convertir les celtes d’Irlande, compilant en même temps ce qu’ils avaient appris d’eux. Nos sources viennent donc majoritairement de là car, si les Celtes savaient écrire, ils ne le faisaient que rarement. Leur culture était majoritairement orale, c’est d’ailleurs bien pour ça qu’on en sait aussi peu sur eux.
De beltaine à Samhain: le calendrier et le nouvel an celte
Maintenant que le décor historique est posé, entrons dans le vif du sujet et parlons calendrier.
Oui, parce que les celtes avaient un calendrier. Contrairement au nôtre, qui est solaire, le leur était luni-solaire, c’est-à-dire basé à la fois sur le soleil et la lune. Ce calendrier était divisé en deux grandes saisons, la saison claire et la saison sombre, elles-mêmes subdivisées en deux parties. La saison claire débutait lors de la fête de Beltaine, vers le 1er mai et la saison sombre commençait vers le 31 octobre. Nous y voilà !
Cette fête du 31 octobre, Samain (ou Samhain) ne marque pas seulement un changement de saison : c’est LA fête la plus importante de toute l’année celte, puisqu’elle en marque le début. C’est le nouvel an celte ! D’ailleurs, de nombreux mythes se déroulent d’une fête de Samhain à l’autre ou alors de Beltaine à Samhain.
Cette fête était tellement importante qu’on pense qu’elle durait plusieurs jours, ou plusieurs nuits, sachant que les celtes comptaient les nuits et non les jours. Certaines sources parlent d’une fête tous les 7 ans, d’autres tous les ans. Certains chercheurs et chercheuses pensent que les différentes sources sont correctes et qu’elles dépendent en fait de la hiérarchie royale en Irlande. Chez les Celtes d’Irlande il y a avait en effet beaucoup de rois : des rois de cantons, des rois de province, et un roi pour les gouverner tous, dans la ville de Tara. On pense donc qu’on fêtait samhain tous les ans dans les cantons, tous les trois ans au niveau des provinces et une fois tous les sept ans au niveau de la capitale.
Même problème pour la durée de la fête : on parle parfois d’un festin qui durait un mois voire 6 semaines, mais plus souvent on parle de trois jours avant, trois jours après ou de trois nuits.
Royale, religieuse, guerrière, populaire: la fête de Samhain
Une fête hors de temps: l'ouverture du Sidh à Samain
Samhain, c’était d’abord, une fête royale et religieuse. Elle a un aspect légal fort du fait de l’obligation qui est faite à tout un chacun d’y participer et aussi parce qu’elle est présidée par le roi. D’ailleurs, dans les récits mythiques c’est le roi lui-même qui sert les convives à table lors de la fête de Samhain.
C’est aussi une succession d’assemblées légales qui permettaient de remettre en ordre la justice et l’administration royale et de régler les dettes, les charges et autres impôts. C’est une sorte d’assemblée générale des hommes d’Irlande, si vous voulez.
Mais Samhain était avant tout une fête religieuse sous l’égide des druides qui ouvraient très probablement la cérémonie avec le sacrifice d’un animal, donc, avec le feu. Le feu était considéré comme un élément druidique, à tel point que, lors de la fête de Samhain, tous les feux d’Irlande devaient être éteints sous peine d’amende, car seul le feu des druides était toléré ce soir-là. Toutefois, il faut avouer qu’on a peu d’infos sur la partie rituelle de la fête puisque ça a été très peu décrit par les moines copistes médiévaux.
Ce qu’il faut comprendre, c’est que Samhain est un moment comme nul autre dans l’année, un temps hors du temps, une sorte de charnière temporelle entre deux années. Les Celtes n’avaient pas la même conception du temps que nous : un jour, un an, l’éternité étaient équivalents. Samain était donc considérée comme une période close d’éternité.
C’est vrai que c’est un concept très flou pour notre monde contemporain et cette période d’éternité est marquée par un évènement presque surnaturel qui rend ce moment justement très particulier: c’est le concept du voile. Les Celtes considéraient que le monde visible n’était séparé du monde invisible que par un voile, qui devenait tellement mince lors de Samhain qu’il était possible de passer de l’un à l’autre d’autant qu’on y accède plus facilement si on se réunit là où il se manifeste. Mais cet autre monde est, lui aussi, assez différent de l’idée qu’on peut s’en faire.
Ce monde invisible, on l’appelle le Sidh et, en Irlande, il a été créé lors d’un évènement particulier que raconte les mythes. L’Irlande a connu plusieurs groupes d’habitants successifs, chassés à chaque fois par les nouveaux envahisseurs. Le moment mythique qui nous intéresse c’est celui où l’Irlande est occupée par les Tuatha Dé Danann.
Les Tuatha Dé Danann, ce sont des dieux, sachant que Dana est elle-même une sorte de déesse mère. Ils occupaient l’Irlande après en avoir chassé les habitants précédents mais c’est alors que sont arrivés les hommes, les Milésiens qui, après une bataille épique, ont vaincu les Tuatha Dé Danann. Mais les dieux sont des dieux et ils forcent les Milésiens à négocier. C’est ainsi que la surface de l’Irlande est laissée aux Milésiens qui sont en fait des Gaëls et vont créer la culture gaélique et que les dieux s’installent dans le Sidh, sachant que le Sidh, ça peut-être les tumuli mégalithiques, les tertres naturels, les grottes ou les îles sous la mer ou dans les lacs comme on en trouve en Irlande. En gros, tout ce qui est inaccessible ou impossible à cultiver revient aux dieux.
Et donc, lors de Samhain, qui est la jonction entre deux années, le passage vers le Sidh est ouvert, permettant au monde invisible de se mêler au monde visible: les dieux sont parmi les hommes dans une espèce de chaos qui est le prémice du recommencement de l’année. C’est d’ailleurs pour ça que dans les mythes, beaucoup de grandes batailles et de morts rituelles ont lieu au moment de Samhain : ces morts représentent l’épuisement d’un cycle. À noter que si les habitants du Sidh viennent facilement rendre visite aux humains, l’inverse est plus difficile : seuls quelques héros de la mythologie irlandaise ont pu y accéder.
Tout ça paraît très désordonné mais la fête de Samhain n’en était pas moins réglée comme du papier à musique. D’ailleurs, c’était également à cette date qu’on élisait le roi d’Irlande si le trône était vacant.
Samhain, fête royale: l'élection du roi d'Irlande
Eh oui, le roi d’Irlande était élu ! Mais rien à voir avec notre système contemporain d’élection.
Cette élection se faisait à travers ce qu’on appelait le festin du taureau. Un taureau blanc était sacrifié par les druides puis cuisiné. Un homme – un seul – mangeait de la viande de ce taureau avec le bouillon dans le but de s’endormir repu. Les druides chantaient ensuite autour de lui pendant son sommeil, afin de générer des rêves car les rêves étaient l’une des méthodes de divination utilisées par les Celtes. Lors de ce rêve, l’homme endormi devait voir l’aspect de celui qui devait devenir roi, son allure, ce qu’il était en train de faire etc. Ne restait plus ensuite qu’à le trouver.
Vu comme ça, entre les assemblées administratives et légales et les cérémonies religieuses, Samhain semble être une fête un peu lugubre. Pourtant, il n’en est rien ! Au contraire, elle est aussi festive et joyeuse. D’ailleurs, on y mange bien puisqu’il y avait un énorme festin.
Le festin de Sahmain et l'ivresse sacrée
Bon, il y avait un festin mais on n’y faisait pas n’importe quoi non plus. Il était rituel donc fortement hiérarchisé. Tous les ressortissants des cantons ou des provinces étaient tenus d’y assister sous peine de… mort! Ce banquet était réservé aux hommes car c’était un banquet militaire où la préséance était particulièrement importante. Une source extrêmement tardive (puisqu’elle date du XVIIe siècle) mais suffisamment sérieuse pour que les chercheurs et chercheuses la citent, explique que, pour ce banquet, les tables étaient placées le long des murs. Lorsque le héraut soufflait une première fois dans son instrument, les boucliers des nobles étaient accrochés selon leur titre à un râtelier au-dessus des tables par une sorte de maréchal de maison sous la direction d’un druide spécialisé qui connaissait les problèmes de préséance et qui faisait donc une sorte de plan de table avec ces boucliers afin de ne vexer personne. Au deuxième coup de trompette, on faisait la même chose avec le bouclier des guerriers. Au troisième coup de trompette, tout le monde entrait et s’asseyait sous son bouclier, avec personne en face d’eux. Les druides et le roi festoyaient à un bout de la pièce, les domestiques travaillaient l’autre bout. Les femmes, quant à elles, n’étaient pas en reste et festoyaient dans une pièce qui leur était réservée.
Mais pourquoi tant de précautions ? Pour quoi tant de soins pour éviter les querelles ? Eh bien les mythes montrent que les querelles justement et les incidents sont de la responsabilité du roi qui est censé faire régner l’ordre. La préséance permettait au roi d’éviter tout problème. La présence des druides au festin est également garante de son bon déroulement car il est interdit d’être violent en présence d’un druide. Les récits montrent effectivement que, sans eux, ça finit toujours mal. C’est à Samain que, dans les mythes, les grandes batailles commencent et que meurent les héros et les rois. Dans ces histoires ce n’est pas rare que le banquet se finisse dans un bain de sang. On n’est donc jamais trop prudents.
D’autant qu’on levait bien le coude lors de ces festins ! L’ivresse, chez les Celtes étaient aussi un moyen d’approcher le sacré. Ces guerriers, qui festoient aussi pour fêter la fin de la saison militaire, buvaient surtout de la bière, considérée comme une boisson d’immortalité au même titre que l’hydromel, plutôt consommé par les druides. Il y avait parfois un peu de vin aussi sur la table, mais il était (déjà!) importé de Gaule et était donc très cher.
Lors de ce festin, les guerriers mangeaient de la viande rouge à la broche. Quant aux autres, plus ils descendaient dans la hiérarchie, plus leur portion était constituée des morceaux dits moins nobles. Le peuple participait également au festin avant de participer à des jeux. On servait sans doute aussi du porc aussi, car Samhain était le moment où on les abattait. Il faut savoir que le porc est un animal important en lien avec le dieu Lug, l’un des dieux les plus importants du Panthéon celte.
Petit aparté mais, étant donné que le festin de Samain, avec, notamment, du porc sur la table, est un des rares éléments du monde celte à être assez bien documenté, il est assez logique de penser que c’est de là dont vient le fameux banquet des aventures d’Astérix avec son sanglier rôti car rappelons que les Gaulois sont des Celtes.
Samain en Gaule
En parlant des Gaulois, qu’en est-il de la célébration de Samhain en Gaule ?
Eh bien, pour la Gaule, on a quelques sources romaines pour nous éclairer et notamment des écrits de Pline l’Ancien au Ier siècle de notre ère qui raconte qu’une coutume gauloise consistait à lier les cornes de deux taureaux blancs et de les immoler par le feu à Samhain, après qu’un druide ait cueilli du gui avec une faucille d’or dans l’arbre sous lequel les deux taureaux étaient sacrifiés. En passant, on notera qu’on a sans doute là la description qui a servi à créer le personnage de Panoramix qui passe son temps dans les arbres à cueillir du gui, le gui étant censé rendre la fécondité aux animaux stériles et constituant un bon remède contre les poisons.
Mais ce qui est intéressant ici c’est que ce témoignage montre la survivance en Gaule, au Ier siècle, d’un rituel connu en Irlande des siècles auparavant. On sait donc que Samhain était fêtée un peu partout dans le monde celte de la même manière. D’ailleurs, il existe un calendrier gaulois qui date du IIe siècle de notre ère et qui indique les fameuses Tri nox samoni, les trois nuits de samhain.
Samain pastorale: une fête préceltique?
Mais est-ce vraiment une fête créée par les Celtes ?
Une théorie voudrait en effet que cette célébration soit plus ancienne encore et remonterait aux premières traditions pastorales, dont nous nous avons toujours un témoignage, y compris en France, à travers le rythme de vie dans les pâtures qui correspond aux quatre grandes fêtes du calendrier celte. Les pasteurs et leurs troupeaux montent dans les hauts plateaux peu après la fête de Beltaine, le début de la saison claire. Ils redescendent en moyenne altitude vers le 1er août qui correspond à la fête celte de Lughnasadh (une fête de mi-saison) avant de rentrer à la ferme à la Toussaint, c’est-à-dire Samhain, jusqu’à la prochaine fête de Beltaine. La 4ème fête, Imbolc, qui a lieu en février, correspond à la date limite du droit de pâtures sur les terres communales. Bref, comme vous le voyez, ce rythme de vie fort ancien a survécu, tout comme la fête de Samhain qui, par contre, s’est transformée au fil du temps.
De Samain à Hallowmas: la naissance d'Halloween
Entre Gaule et Irlande: la disparition des rites celtes
Retour en Irlande.
Il n’y a peut-être pas eu de romains sur l’île, mais par contre il y a eu des moines chrétiens qui sont venus évangéliser les Celtes, dont le fameux saint Patrick au Ve siècle. Oui, celui-là même qu’on célèbre le 17 mars à grand renfort de bière. L’évangélisation de l’Irlande a été vraiment particulière puisque, du peu que l’on en sait, les moines se sont appuyés sur les bardes pour répandre la parole chrétienne et, globalement, la christianisation de l’île s’est faite quasi sans violence, par assimilation. Et ce sont donc ces fameux moines à qui l’on doit la mise par écrit des mythes celtes dans une version toutefois possiblement revisitée à la mode chrétienne.
En Gaule, la culture celte a été effacée de manière beaucoup plus radicale déjà à la suite de l’occupation romaine, puis du fait du christianisme. Or, pour christianiser les populations, il était nécessaire qu’elles abandonnent leurs anciens rites et tout particulièrement les rites des assemblées qui marquaient les changements de saison. Samhain étant la plus importante, l’Église a carrément tenté de la remplacer, au Ve siècle, par le jour des saints et des martyrs et de la déplacer au 13 mai. Ça a été un échec total. Au IXe siècle, les autorités chrétiennes ont fait une deuxième tentative en plaçant le jour des saints et des martyrs, la Toussaint donc, le 1er novembre, pile au moment de Samhain, en y ajoutant un jour des défunts le 2 novembre peut-être parce que, malgré tout, ils n’arrivaient pas à arriver à bout de la fête celte. Et le fait est que l’Irlande a continué à célébrer Samhain.
Toutefois, en Irlande, le druidisme a disparu au fur et à mesure de l’avancée du dogme de l’Église et les druides étant les principaux officiants lors de la célébration, ça a commencé à modifier les rites. Et puis, à partir du XIIe siècle, ce sont les Anglais qui ont posé le pied sur l’île, pour ne plus jamais en partir. Cette colonisation, puisque c’en est une, a été relativement brutale, particulièrement au XVIIe siècle où les révoltes irlandaises ont été violemment réprimées, ce qui a petit à petit entrainé la disparition de l’élite gaélique, alors dépositaire des anciennes connaissances qui, les siècles passant, continuaient de se perdre peu à peu.
Restaient alors les paysans, qui étaient parfois descendants d’anciennes familles nobles et qui ont continué à pratiquer ces rites perpétués à travers les siècles, mais des rites dont on pense qu’ils sont sans doute incomplets, ou qu’ils ont perdu leur sens originel car probablement mal compris par des populations qui, à la base, n’en étaient pas dépositaires.
Bref, la Samhain celte a survécu en Irlande mais s’est transformée au fil du temps.
Et la première transformation s’est faite au niveau de la durée puisqu’elle s’est petit à petit comprimée en une seule nuit de célébration, généralement du 31 octobre au 1er novembre mais la date peut varier. Ça s’explique par le passage du calendrier dit Julien au calendrier grégorien (notre calendrier actuel) qui s’est fait en 1752 dans les îles britanniques, date à laquelle il y avait 11 jours de décalage entre les deux calendriers, ce qui explique que parfois, selon les régions d’Irlande, la fête d’Halloween avait lieu autour du 11 ou 12 novembre.
Son nom aussi a aussi très rapidement changé, au IXe siècle, quand la Toussaint a été placé au 1er novembre. On l’a notamment appelé All Hallowmas qui signifie All soul’s day en ancien anglais, c’est-à-dire le jour de tous les saints, donc la Toussaint. Et on a commencé à nommer la veille de ce jour, donc le 31 octobre, All Hallows eve, pour se transformer finalement en Halloween. Mais sachez qu’il existe une dizaine de noms en Irlandais pour qualifier Halloween et près d’une quarantaine en anglais !
À Halloween comme à Samhain: un moment-clé de l'année
Récoltes et foires d'Halloween
Dans la société très rurale de l’Irlande traditionnelle, Halloween reste, comme chez les Celtes et les pasteurs, un moment-clé de l’année, dans les activités agricoles notamment, pour lesquelles on a gardé la division de l’année en deux : la saison active de mai à octobre et la saison oisive d’octobre à mai.
Par exemple, Halloween est une date butoir pour les travaux des champs. On racontait en effet que tout ce qui n’était pas ramassé avant Halloween était détruit par l’haleine du Púca, une créature fort peu sympathique dont on reparlera. Les récoltes devaient donc être faites avant le 31 octobre. C’était d’autant plus important pour les pommes de terre, qu’on a beaucoup cultivé en Irlande, les pommes de terre ne résistant pas aux gelées violentes qui faisaient rage après le 1er novembre.
Halloween marque aussi les derniers ramassages de baies sauvages ou de noix.
C’est surtout un changement de rythme puisque les contrats d’embauche saisonniers prennent fin, et les laboureurs, au contraire, louent leurs services puisqu’ils ont fini les travaux dans les champs.
Halloween est aussi une date importante chez les éleveurs. On l’a dit, c’est le moment où les bêtes sont rentrées à l’étable. Mais surtout, c’est un grand moment de rassemblement dans les foires où les éleveurs vendent les animaux qu’ils ne garderont pas. Mais il y a aussi des foires où l’on vend des légumes puisque les récoltes sont faites et qu’il y a profusion de pommes de terre, de navets, de carottes ou que sais-je encore.
Ces foires étaient extrêmement importantes dans l’Irlande traditionnelle mais aussi en France jusqu’au milieu du XXe siècle. On y vendait le bétail mais on venait aussi y chercher du travail. C’était des moments de sociabilité, des occasions de rencontres et des journées d’animation exceptionnelles dans les petites villes.
Ces marchés, qui se tiennent en général à partir du 15 octobre sont des échos des rassemblements de la fête de Samhain puisque ces marchés ont un rôle administratif et politique et précèdent de quelques jours l’aspect religieux de la fête.
Loin des clichés: se marier à Halloween
Plus étonnant, Halloween était considéré comme un moment propice au mariage. Ça peut nous paraître étrange, à nous qui avons l’habitude de nous marier quand il fait beau et chaud mais rappelons-nous que le retour des pâtures signifiait aussi le retour de beaucoup d’hommes dans les villages. Les retrouvailles étaient synonymes de fête qui favorisaient les courtises, c’est-à-dire les flirts.
Dans les anciennes traditions, il n’était pas rare de s’engager au moment de la fête de l’été, Lugnasad dans ce qu’on appelait les mariages de Teltown (je vous épargne l’explication du nom, parce que c’est assez long), des mariages temporaires d’un an et un jour au terme duquel on pouvait se séparer si on le souhaitait. Mais quand ça matchait bien, on se mariait souvent à Halloween.
Voilà pour le contexte de la fête, qui n’est pas sans lien avec la Samhain celte. Et s’il y a un autre lien qui a été conservé c’est celui avec le Sidh.
Lorsque le voile entre les mondes se lève: le surnaturel à Halloween
Les fairies
Évidemment, avec l’arrivée et la diffusion du christianisme, tout ce qui tourne autour du surnaturel était très mal vu mais ça n’a pas disparu pour autant. Dans l’Irlande traditionnelle on considérait toujours qu’un voile séparait le monde visible du monde invisible et qu’il devenait très mince à Halloween, permettant au deux mondes de communiquer. Seulement, ce sont plus des dieux ou des héros qui traversent ce voile mais une multitude de créatures dont certaines que l’on appelle des fairies, c’est-à-dire des fées en français mais les chercheurs et chercheuses préfèrent conserver le nom anglais. Et ce n’est pas pour rien !
Les fairies sont en effet bien loin de la marraine la bonne fée ou de la fée clochette. Ce sont des créatures puissantes, inquiétantes et qui aiment se jouer des humains et jouer avec les humains. Par exemple, le Pooka, avec son haleine fétide est un fairy. On les appelle ironiquement « le bon peuple » ou le petit peuple » car dans les histoires, certains d’entre eux sont tout petits. En tous cas, on les craint et on ne veut surtout pas les croiser, d’autant qu’à Halloween, ils sont absolument partout.
Ces créatures sont sans doute une version diabolisée par l’Église des anciens dieux celtes parce qu’ils en ont quand même beaucoup de caractéristiques, et notamment leur lieu de vie. Ils vivent là où les dieux, les Tuatha de Danann, ont été relégués, comme les souterrains, les grottes ou encore les tertres. Ils habitent également dans ce qu’on appelle des forts, ou bien des raths ou encore des lios, c’est-dire près des sites fortifiés datant de l’âge du fer, donc de la période celtique et plus globalement près des tumuli. Mais la magie des fairies touchent aussi toute la végétation de ces lieux et certaines plantes sont même connues pour être aussi leur demeure, comme l’aubépine ou le roncier. D’ailleurs, il faut toujours se méfier d’un arbre qui pousse seul au milieu d’un champ : vous pouvez être sûr.es qu’il y a des fairies qui y vivent !
Donc, à Halloween, les fairies sont de sortie et sont réputés détruire tout ce qui pousse encore ou n’est pas ramassé, d’une part parce que le passage entre les deux mondes est ouvert mais aussi parce qu’ils déménagent ! Ils changent de fort et, pour ça, empruntent ce qu’on appelle les chemins des fairies.
En fait, si on y regarde bien, il n’y a pas beaucoup d’endroits où ne risque pas de croiser les fairies. En tous cas, lors des ce déménagement, s’ils croisent un humain, les fairies sont contraints de faire demi-tour. Et autant vous dire que ça les mettrait en colère et qu’aucun humain normalement constitué n’a envie de les contrarier.
Parce que les fairies, quand ils sont contrariés, s’ils ne vous tuent pas, ils vous enlèvent. C’est leur grande spécialité. Les contes de la culture gaélique (Irlande et Écosse surtout), regorgent d’enlèvements, que ce soit avec le fairy wind, un vent qui emporte la victime ou avec une ronde faite autour de la victime et dont les fameux ronds de sorcières (fairy rings)comme on les appelle en France seraient la trace. Mais les fairies enlèvent aussi les nouveaux nés. Cette dernière croyance a survécu très longtemps dans les cultures gaéliques. On considérait que les fairies enlevaient les nouveaux-nés et les remplaçaient par une sorte de substitut, une créature qui ressemblait à un nouveau-né, sans être aussi vigoureux et qui, souvent, ne parlait pas. On appelle cette créature un changelin et si vous connaissez la série Outlander, dont la saison 1 se passe au XVIIIe siècle en Écosse, vous voyez de quoi je parle parce qu’il en est question.
Mais les fairies enlevaient aussi de adultes à Halloween dans le cadre des batailles de fairies qui avaient lieu, des sortes de jeux où chaque fairy devait être accompagné d’un humain et, si celui-ci obéissait bien, il pouvait être relâché le lendemain avec des cadeaux ou des dons.
Les enlèvements ne sont donc pas toujours définitifs mais, pour retrouver la personne enlevée par les fairies, il fallait souvent attendre la fête d’Halloween suivante et aller la chercher. Si les captifs du Halloween précédent n’étaient pas libérés, il restaient sous la garde définitive du petit peuple dont il devenait membre. Les fairies pouvaient aussi rendre les humains malades, les tuer ou les rendre fous.
Donc si on considère la dangerosité de ces créatures et le risque accru de les croiser le soir du 31 octobre, il est normal que le soir d’Halloween soit bardé d’interdits. Par exemple, personne ne devait être dehors entre minuit et 1h du matin que l’on appelle « l’heure morte de la nuit » et il ne fallait surtout pas traverser un fort à cette heure-là. On peut y être envouter par la musique des fairies ou même, paraît-il, les surprendre en train de jouer au hurley ou au foot !
Il faut contourner soigneusement les aubépines, ne surtout pas couper de branches dans un fort parce que ça porte malheur.
Les paysans avaient l’habitude de faire des offrandes de nourriture ou de lait pour apaiser les mauvaises intentions des fairies. Mais ces offrandes n’étaient pas destinées qu’aux fairies mais aussi aux morts.
Sidh et purgatoire: quand les morts reviennent à Halloween
Les fairies sont en effet indissociables des morts et il est parfois difficile de savoir qui est qui.
Le soir d’Halloween, les morts sont réputés revenir dans le monde des vivants et visiter leur famille. Enfin, les morts récents, parce qu’ils ne sont ni en Enfer, ni au Paradis, mais se trouvent au purgatoire. Le purgatoire étant une invention chrétienne, on peut donc considérer que l’ajout des morts qui reviennent le soir d’Halloween est également une invention chrétienne qui s’est calquée sur les croyances aux fairies qui elles-mêmes sont issues des croyances celtes au retour des dieux le soir de samain.
Le soir d’Halloween, dans la maison, on prépare donc le retour des morts. On nettoie, tout en évitant de jeter l’eau par la fenêtre comme on fait d’habitude au risque d’arroser un proche décédé ou pire, un fairy ! On fait attention à ce qu’on dit parce qu’il paraît que les morts ont des oreilles cachées le sol de la maison ou dans les chevrons du toit !
Surtout, on prépare la cuisine pour leur retour. Ainsi, quand on va se coucher (assez tôt si possible), on laisse quelque chose à manger, une cruche d’eau, de lait ou du pain à leur intention. On prépare du tabac et des sièges et on fait brûler un feu. Parce que le feu, à halloween comme à Samhain, est important. Déjà, dans l’Irlande traditionnelle, le feu est au centre de la maison, et il n’y a pas de table. Le feu est symbole de prospérité et, le 1er novembre, on examine les cendres au petit matin pour voir si les morts sont venus et si les traces qu’ils ont laissées sont un bon présage.
On allume également des bougies pour les morts, peut-être un lointain souvenir de Samhain où tous les feux étaient éteints et où on se servait de bougies pour s’éclairer. On allumait autant de bougies que de membres de la famille décédés ou alors un nombre symbolique. Toutes les fenêtres étaient éclairées, ce qui permettaient aux morts de retrouver leur maison et leur permettre ensuite d’aller au ciel sans retourner au purgatoire. Morts et fairies étant étroitement liés, ces bougies servaient aussi à protéger la maison de l’incursion de ces créatures peu avenantes. On allumait aussi des bougies dans les cimetières, à la tête des de pierres tombales ou sur les murs d’enceinte, toujours pour montrer le chemin aux morts lors de cette soirée qui était, ma foi, très animée !
Hallowmas, All soul's night et All Hallow's eve: la veillée d'Halloween
Le repas traditionnel irlandais d'Halloween
Halloween est avant tout une veillée au cours de laquelle la famille se regroupe pour un repas particulièrement soigné si l’on considère que l’Irlande rurale était très pauvre. Parmi les plats qu’on sert généralement lors de cette veillée, il y a le colcannon, un plat à base de pommes de terre et de choux écrasés et dans lesquels on creuse autant de puits qu’il y a de convives, des puits qu’on remplit de beurre. On laissait d’ailleurs souvent une part de colcannon pour les morts de la maison. Si les invités viennent de différentes fermes, chacun vient avec sa propre cuiller pour manger le colcannon. On confectionne des galettes à base de pommes de terre qui ont différents noms selon les régions comme stampy, boxty bread, ou pan cakes. Eh oui, les pancakes ne sont pas plus américains qu’Halloween !
Halloween est aussi une des rares occasions de manger des gâteaux comme le barmbrack, une sorte de pudding aux raisins, ou le dumpling pour les plus riches, un gâteau à base de pommes ou encore des tartes avec les fruits qui ont été ramassés. On offre des noix et des pommes aux enfants.
On boit du whisky maison, qu’on appelle la poteen, qu’on partage avec les voisins chez qui on reste jusqu’au matin.
Bien qu’il n’en ait pas l’air, ce repas a des points communs avec le festin celte. L’utilisation du chou par exemple, est intéressante puisque c’est un légume indigène irlandais, c’est-à-dire qu’il a toujours poussé en Irlande. Contrairement à la pomme de terre, légume plus récent et synonyme de pauvreté, le chou était un symbole de prospérité et de sécurité, un symbole important en cette nuit qui marque l’arrêt des travaux dans les champs et la prospérité attendue avec les récoltes avant les longs mois d’hiver. On remarque que le porc ne fait plus partie du menu. On lui préfère généralement une oie, qui, pour la petite histoire était associé au cygne chez les celtes et surtout était un oiseau du Sidh messager de la mort. L’abandon du porc vient aussi des grandes famines qu’a connu l’Irlande et la création de la poteen sert à remplacer le vin trop coûteux.
Mais on ne faisait pas que manger à Halloween. On jouait aussi!
Les jeux traditionnels d'Halloween
Les irlandais connaissaient toutes sortes de jeux, pratiqués après le dîner, près du feu.
Certains sont toujours connus aujourd’hui comme le Snap apple qui consiste à attraper une pomme attachée à une ficelle avec les dents. Pour ça, on attache les mains du joueur dans le dos. Pourquoi ? Parce que ça évite que les enfants battent des mains et qu’il flanque une claque à un esprit, que ce soit une personne décédée ou un fairy! Il existe aussi des jeux en lien avec le feu, il y a aussi une sorte de Colin Maillard et beaucoup de jeux basés sur les danses traditionnelles et la musique au violon car vous savez sans doute que les Irlandais aiment particulièrement danser.
Encore une fois, ça ressemble à un simple divertissement populaire mais les chercheurs et les chercheuses y voient des restes d’anciens rituels morcelés et travestis pour pouvoir s’exprimer à l’époque où l’Église fait la chasse aux rites païens. D’ailleurs, certains ont noté la ressemblance entre les jeux d’Halloween et les jeux pratiqués lors des veillées funèbres, sauf qu’à Halloween, il n’y a pas qu’un mort, il y en a toute une foule!
Et puis, je l’ai brièvement évoqué tout à l’heure, les Celtes jouaient aussi lors de Samhain, des jeux plutôt de type sportifs, qui demandaient adresse et agilité. Il y avait aussi des jeux équestres qui ont sans doute disparus en même temps que la classe des guerriers, qui montaient à cheval. En tous cas, pour les jeux aussi, Halloween a conservé la tradition tout en la transformant.
Chou, pomme, miroir, roncier et rêves prémonitoires: la divination à Halloween
Une autre activité très prisée le soir d’Halloween, c’était la divination. Vous vous souvenez, tout à l’heure, je vous ai dit qu’Halloween était aussi un moment de flirt ou de mariage. Eh bien la grande majorité des dizaines et dizaines de méthodes de divination d’Halloween – majoritairement pratiquée par les jeunes filles – visaient à découvrir qui serait son futur conjoint.
Et on faisait de la divination avec absolument tout. Par exemple, avec les choux, en suspendant par exemple un trognon de chou au-dessus d’une porte : le futur conjoint serait celui qui passerait le premier en dessous, par exemple. Avec une pomme aussi, en la pelant d’un seul tenant et en regardant l’initiale formée par la pelure jetée auparavant par-dessus son épaule gauche. Ou encore avec des noix ou des haricots qu’on mettait au feu et dont on guettait les sursauts. À noter que l’utilisation de ces fruits n’a rien d’hasardeuse. Les noisetiers étaient des arbres sacrés à caractère magique pour les druides et les noisettes comme les noix étaient considérés comme des fruits de science. Quant à la pomme, elle était symbole d’immortalité et de connaissance chez les Celtes.
Ces divinations avaient lieu dans l’enceinte sécurisante de la maison, mais d’autres se faisaient à l’extérieur et demandaient un peu de courage, déjà au vu du contexte d’Halloween (les morts, les fairies, tout ça, tout ça) mais aussi et surtout parce qu’elles demandaient d’invoquer le diable.
Mais qu’est-ce qu’il vient faire là, celui-là ?
Selon les chercheurs et chercheuses, l’Église ayant essayé d’éradiquer ce qu’elle considérait au mieux, comme des superstitions, au pire, des coutumes païennes, ces dernières n’ont pu subsister qu’en tant que « sorcellerie », c’est-à-dire que la coutume païenne est devenue occulte pour pouvoir s’exprimer et elle a été diabolisée. C’est pour ça qu’il est très souvent question du diable dans les divinations à l’extérieur et notamment quand elles touchent des éléments issus de la culture celte.
Par exemple, les hommes pouvaient ramper trois fois de suite sous un roncier double au nom du diable, ce qui permettait de rêver de leur future femme la nuit suivante. Rappelez-vous, le roncier est un des lieux d’habitat des fairies. Il y a d’ailleurs beaucoup d’autres techniques de divination incluant un roncier.
Il y en a aussi beaucoup avec l’eau, un autre élément très important chez les Celtes qui l’utilisaient comme moyen de révélation. Ce n’est donc pas très étonnant qu’on l’utilise pour lire l’avenir. On peut par exemple laver sa chemise le soir d’Halloween pour hâter son mariage et si une jeune femme met sa chemise fraîchement lavée devant le feu elle rêvera de son futur mari. Une variante de la divination avec l’eau est la divination avec un miroir. Mais attention, si vous ne voyez pas votre futur conjoint dans le miroir à Halloween, tout comme dans l’eau du puits, vous verrez le diable !
Pour la petite histoire, dans certains contes traditionnels gaéliques le lien entre l’eau et le miroir est tout a fait évident. Il existe par exemple un conte écossais qui reprend à la fois l’histoire de Blanche-neige et l’histoire de la Belle aux bois dormants. Sauf que la méchante reine ne demande pas au miroir qui est la plus belle. Non, elle pose sa question en se penchant au-dessus de l’eau du puits et c’est un petit poisson qui lui répond.
Enfin, vous l’avez sans doute remarqué, j’ai parlé plusieurs fois de rêves prémonitoires. Les provoquer était une des manières les plus récurrentes de connaître son avenir. Et les rêves c’étaient aussi une méthode de divination chez les druides, rappelez-vous l’histoire de l’élection du roi d’Irlande. C’est d’autant plus flagrant que certains de ces rêves d’Halloween sont censés être déclenchés par des plantes mises sous l’oreiller, des plantes dont on sait qu’elles étaient bien connues des druides.
Il existe plein d’autres méthodes de divination, avec du sel, de la nourriture cuisinée, des couteaux au manche blanc ou noir mais on va s’arrêter là sur le sujet. En tous cas, ça permet de voir qu’il se passait des choses dehors le soir d’Halloween. Parce qu’en effet c’était une soirée très animée !
Processions, masques et farces d'Halloween en Irlande
Si les familles et les amis se retrouvent dans la sécurité de leur foyer, les jeunes, eux, restent souvent dehors à Halloween. Les garçons et les filles vont de maison en maison en jouant du violant et en chantant. On les reçoit dans la cuisine où ils donnent un petit concert, posent des devinettes ou récitent des vers. Ils sont remerciés par des offrandes de nourriture le plus souvent, notamment des fruits (majoritairement des pommes ou des noix) ou bien un morceau de barmbrack, le gâteau traditionnel. Parfois on leur donne des pièces de monnaies.
Les jeunes gens qui font ces processions sont déguisés. Ils sont déguisés en personnes âgées, en mendiant, les filles se déguisent en garçon et inversement, en fantôme, en Pooka ou en homme de paille, les strawboys. On les appelle « Les masques » parce qu’ils se noircissent le visage ou portent des masques faits main comme des sacs troués à la place des yeux, sacs sur lesquels on a dessiné des sourcils et une barbe. Ça a l’air inoffensif comme ça, mais, ayant vu des photos, je peux vous dire qu’ils sont un chouia inquiétants.
Parmi les jeunes gens qui font cette procession, certains préfèrent rester dehors pour faire des farces qui visent souvent le matériel agricole. Un grand classique consiste à voler le matériel et à tout entasser sur la place du village, chacun devant ensuite retrouver ses affaires lorsque le matin est venu. Beaucoup de farces de l’Halloween traditionnelle se font au seuil des maisons. Sachant que c’est un espace entre deux mondes, l’extérieur et intérieur, ça colle bien avec la thématique d’Halloween et la rencontre du monde visible et invisible. On attache les poignées des portes des maisons qui se font face avant de frapper aux deux portes, on condamne les portes, en enlève les piquets des barrières, on jette de l’eau par la cheminée, on passe les vitres au savon etc. Les farces visent en priorité les gens qui n’ont pas donné d’offrandes aux masques, pour leur musique, etc. Avec ces farces ces groupes de jeunes imitent le Púca, cet être malfaisant et nuisible, et symbolisent l’invasion d’êtres surnaturels issus du monde invisible : ils jouent à être des fairies. Ou alors, ils accusent les fairies d’être responsables des farces, ce qui est bien pratique ! Par contre, interdiction de détruire quoi que ce soit, car tout peut avoir une incidence sur les récoltes et puis ça porte malheur.
Enfin, une autre farce très répandue consistait à creuser un navet en forme de crâne et d’y glisser une chandelle pour effrayer les gens dans les cimetières. Si on creusait une courge, on la mettait sur la tête et on déambulait dans le village.
Après toute cette agitation, les jeunes ne retrouvaient dans une grande ferme où ils dansaient et chantaient jusqu’au matin, tout en continuant à prétendre être quelqu’un d’autre en changeant leur voix et leur prénom, parce qu’à Halloween, on ne sait plus vraiment qui est qui.
La fête traditionnelle d'Halloween dans les autres pays
Alors, si le Halloween irlandais est le plus connu et le mieux conservé, les autres pays de culture celte ont aussi des traditions dont on sent les racines anciennes sans qu’elles soient aussi nettes qu’en Irlande. Le feu est par exemple souvent au centre des célébrations comme au Pays de Galles et en Écosse. À l’époque victorienne, les sorcières ont remplacé les fées dans les croyances traditionnelles et on jetait au feu des effigies de vieilles femmes censées les représenter. Le dîner factice pour les morts est une aussi une tradition assez partagée. En Écosse, la nuit du 30 octobre, c’est la nuit du chou pendant laquelle on jette des trognons de choux sur les portes des gens qu’on n’aime pas. En Angleterre, le 30 est la nuit des sottises.
Et en France alors ?
En France la christianisation a pesé lourd sur les traditions celtes, déjà très effacées par la romanisation. On peut retrouver la trace des traditions d’Halloween mais éclatées dans plusieurs autres fêtes comme la Saint-Martin qu’on connaît moins maintenant ou au Carnaval par exemple.
Vous le voyez, comme la plupart des fêtes anciennes qui ont survécu, Samhain est devenue une fête rurale. Toutefois, l’atmosphère irréelle et surnaturelle de la fête préchrétienne a été conservé et c’est cette atmosphère, quoique artificielle qui a survécu jusqu’à nos jours.
Halloween aux États-Unis
Alors, qu’on ne s’y trompe pas, la fête d’Halloween traditionnelle n’a pas disparu. Dans les années 1930, c’était encore une des principales fêtes de l’année en Irlande, même plus importante que Noël.
Mais alors, comment Halloween est arrivée aux États-Unis?
Eh bien c’est dû à un épisode absolument dramatique de l’histoire irlandaise, encore une fois. Au XVIIe siècle, l’Angleterre, par le biais de Cromwell, réprime violemment les révoltes catholiques irlandaises (je rappelle que l’Irlande était catholique à la base et que l’Angleterre est protestante). La vie devient extrêmement dure pour les fermiers irlandais qui se mettent à cultiver la pomme de terre pour subsister, ce qui ne fonctionne pas trop mal dans un premier temps. Mais au XIXe siècle, les cultures de pommes de terres sont contaminées par une maladie, le mildiou. Contraints par l’Angleterre de continuer à exporter leurs cultures, les irlandais n’avaient eux-mêmes plus rien pour se nourrir et on estime que presqu’un million de personnes sont mortes de faim entre 1845 et 1852 dans ce qu’on appelle la Grande famine. Cette famine, avec le chômage, est la raison principale d’une grande vague d’émigration des irlandais qui fuient leur île pour les États-Unis. Nous y voilà !
Et, si les irlandais étaient pauvres, leur bagage culturel, lui, était particulièrement riche et c’est grâce à eux que les coutumes d’Halloween se sont diffusées dans le nouveau monde. S’ils ont amené tous leurs rituels avec eux, tous n’ont pas été adoptés par les autres colons. Par exemple, la procession, faites par des jeunes gens, a été adoptée mais pour les enfants, de même que les jeux qui leur sont aussi réservés.
Le fameux « Trick or Treat » (« des bonbons ou un sort ») date des années 1930 et permettait d’éviter un maximum les mauvaises farces, qu’on considérait un peu trop répandues à cette période, une tradition qui avaient bien survécu au voyage entre l’Irlande et les États-Unis. Outre les farces et les processions, le lien à la mort et au surnaturel a été conservé bien sûr mais s’est petit à petit complètement déconnecté du folklore européen et du monde des fairies et du Sidh. La citrouille a aussi remplacé le navet pour la création de lanterne en forme de crâne : les émigrés on fait avec ce qu’ils ont trouvé sur place.
Halloween est devenue une fête commerciale vers 1970 quand elle est devenue laïque et depuis, tous les ans, ce sont les fabricants de déguisement, de décos en plastique et de bonbons qui se frottent les mains et pas seulement les fabricants américains puisque c’est sous cette forme qu’Halloween est revenue en Europe.
Pooka, Banshee, Jack O' lantern et cavalier sans tête: les fairies d'Halloween
On a terminé de parler des origines d’Halloween mais je ne pouvais pas clore cet épisode sans parler des figures mythiques de cette fête comme Jack O’lantern, la Banshee ou le cavalier sans tête.
Saviez-vous que toutes ces créatures qui ont fait les beaux jours de l’industrie du film d’horreur sont des fairies ? Oui oui, les fameuses petites fées gaéliques !
Le Pooka
Et, comme je l’ai déjà évoqué, on va commencer pour le Púca. Rappelez-vous, il détruit les récoltes et les fruits non ramassés après Halloween avec son haleine fétide. Une autre version veut qu’il se soulage dessus. Après Halloween, on montre les fruits pourris et tâchés aux enfants pour leur expliquer qu’à partir de maintenant, il faut les laisser à terre, qu’ils sont destinés aux fairies.
Mais il ressemble à quoi ce Pooka ? Pas facile de savoir. Dans les vieux contes, il est tantôt un cheval, un âne, un chien, un taureau, une chèvre, ou même un aigle. Parfois on dit que c’est un animal cornu, 1/3 bœuf, 1/3 mule, 1/3 cochon. Mais la description qui revient le plus souvent c’est celle d’un cheval. Et s’il arrive qu’il soit décrit comme un cheval enchanté très calme et parfois très secourable, la plupart des histoires disent qu’il est malveillant voire maléfique. Si jamais vous le rencontrez et que vous refusez de lui parler, il vous embarque dans une chevauchée cauchemardesque. Selon les versions, il vous abandonne ensuite là où il vous a trouvé, dans un champs ou bien il vous balance dans un roncier, une des plantes ou vivent les fairies, rappelez-vous !
Une théorie voudrait que les chevauchés fantastiques du Pooka soient peut-être un reste d’anciens rites érotiques et de fécondité. Je vous laisse avec ça, vous en faites ce que vous voulez !
Et en France, est-ce qu’on croyait au Pooka ? C’est fort possible car est-ce que vous saviez que le bandeau qui sert à cacher les yeux dans le jeu de Colin-Maillard s’appelle un puicin ? Et puicin, ça veut dire petit Pooka. Et le colin-maillard est un jeu aussi un jeu traditionnel d’Halloween.
En tous cas, le Púcafait tellement partie du paysage folklorique que c’est même parfois un terme générique pour désigner un fairy, un fantôme, un esprit ou bien le diable (il n’est jamais loin celui-là, ou encore le fameux Jack O’ Lantern.
Jack O' lantern
Parlons de lui justement.
Jack serait une invention des premiers celtes chrétiens. Les histoires racontent comment le vieux Jack, un mauvais homme et un ivrogne, a roulé plusieurs fois le diable, lui faisant promettre de ne jamais venir le chercher. Quand il est mort, hors de question pour lui d’aller au paradis : il avait été trop mauvais au cours de sa vie. Et le diable lui ayant promis de ne jamais lui ouvrir les portes de l’Enfer, le vieux Jack continue de errer, notamment les soirs d’Halloween, date à laquelle il est mort, avec pour seule compagne sa lanterne faite d’un navet creusée et de deux charbons ardents que le diable aurait consenti à lui donner. C’est de là que vient la coutume de creuser des navets puis des citrouilles pour en faire des lanternes.
Si Jack O’ lantern ou, Jack à la lanterne en français, est parfois considéré comme le Pooka lui-même, il se confond aussi avec Will O’ the wisp.
Will O' the Wisp
Will O’the wisp, tout comme le Pooka et Jack O’ lantern, fait référence à plusieurs choses. Tout d’abord, il s’agit d’un conte, très semblable à celui du vieux Jack, ce qui explique qu’on les confonde. Will était un homme tellement mauvais qu’il a été condamné à errer sur terre, comme Jack, avec un seul charbon ardent à sa disposition pour se réchauffer. Mais on raconte qu’il utilisait ce charbon ardent pour attirer les voyageurs imprudents dans les marécages.
Ce n’est donc pas étonnant si Will o’ the wisp fait aussi référence à un feu follet, dont on sait qu’ils se développent prioritairement dans les milieux humides comme les marais ou dans certains cimetières !
Will o’ the wisp serait également une forme du Pooka qui, décidément, semble plus être une concept maléfique qu’une créature en elle-même.
De la déesse Morrigan à dame blanche: la Banshee
Il existe un autre personnage, féminin celui-là, en lien avec Halloween et qui est, pour le coup, toujours connu un peu partout, c’est celui de la Banshee. Dans les légendes, il s’agit d’une femme victime d’un meurtre ou suicidée. La dame de Wen, la version galloise, est parfois inoffensive mais d’autres fois maléfique et décrite sans tête. Les banshees sont souvent attachées à une famille à qui elles apparaissent sous forme de corneille. Son apparition ou entendre ses lamentations sont toujours un présage de mort.
La Banshee est un des personnages principaux du folklore irlandais depuis les celtes. Banshee signifie littéralement Bean sidh « La femme du Sidh ».
Elle est une émanation de Morrigan, la déesse celte de la guerre qui est connue pour venir chercher les mortels dont le Sidh a besoin et dont la forme préférée est la corneille.
Comme souvent, cette figure a été diabolisée par l’Église, elle est donc devenue très négative avec le temps et a perdu son statut de déesse. Personnage solitaire, le plus souvent veille femme hideuse, on la voit parfois peigner ses cheveux ou laver le linge. Cette dernière caractéristique vous dit peut-être quelque chose. Eh oui, les fameuses lavandières de nuit des légendes bretonnes sont aussi des banshees. Et si elle vous fait penser aux fameuses dames blanches que certains disent voir notamment au bord des routes, ce n’est pas un hasard non plus puisque le mythe de la dame blanche est sans doute dérivée de la banshee.
Le Dullahan ou le cavalier sans tête
J’aimerais finir le tour de ce petit musées des horreurs avec les Dullahan. Ce nom, comme ça, ne vous dit peut-être rien mais vous le connaissez : c’est le cavalier sans tête. Et le cavalier sans tête est un fairy lui-aussi. Oui, Oui. Il porte sa tête à son côté et conduit parfois une charrette. Certains disent que son cheval n’a pas de tête non plus. Quoi qu’il en soit, les personnes vivant dans les maisons devant lesquelles il s’arrête étaient sûres de mourir rapidement. Et si jamais il vous surprenait en train de le regarder, il vous balançait une bassine de sang à la figure.
Inutile de vous demander si cette légende fait partie des sources d’inspiration de Washington Irving, l’auteur La légende Sleepy Hollow, dont vous connaissez sans doute l’adaptation cinéma de Tim Burton. La réponse est oui, évidemment!
Tout ce que je vous ai raconté sur la fête d’Halloween dans l’Irlande rurale et traditionnelle est issue de la thèse de Valérie Guibert de la Vaissière. Elle a sillonné l’Irlande afin de compiler les us et les coutumes d’Halloween et elle notait alors que tout ce patrimoine immatériel était en train de disparaître. Et ça, c’était dans les années 70. Outre l’oubli progressif des traditions anciennes, la technologie agricole et le réchauffement climatique ont changé les conditions de travail des paysans et les dates de récolte, ce qui détache d’autant plus la fête d’Halloween du calendrier agraire.
Si on peut se réjouir qu’Halloween soit revenue en Europe, il faut bien avouer qu’entre les décos en plastique, les bonbons ou le fait qu’elle soit centrée sur les enfants, la fête a quasi complètement perdu son sens originel. Alors peut-être que les marathons de films d’horreur sont une version moderne des histoires de fairies qu’on se racontait au coin du feu.
Je vous laisse juges.
Crédits:
Voix off de l’épisode:
- Marin
- William
- Maxime
Musiques utilisées dans l’épisode:
- This is halloween (Universfield)
- Cinematic violin (Luis Humanoide)
- Clannad (Jérôme Chauvel)
- Beata (OB-LIX)
- La tribu de Dana (Manau)
- Memorable (Melodigne)
- Floralia (Corvus)
- The satyr’s dance (Samuel F. Johanns)
- Green eyes of my highland girl (Leigh Robinson)
- The celtic life (Fred Torres)
- Calm lullaby for irish harp (Mountain Dweller)
- Come out and play (Darren Curtis)
- The unknow (Geoff Harvey)
- Magic in the air (Geoff Harvey)
- Raining village (GirilS)
- Little secrets (Julius H.)
- Medieval celtic violin (Yevhen Onoychenko)
- Earnest melody (Michael Daniel)
- The view from the castle (Geoff Harvey)
- Halloween story
- Let the mystery unfold (Geoff Harvey)
- Dancing doll (Spencer_YK)
- Mystery girl (Jiwon & Nahee)
- Magic you can believe in (Geoff Harvey)
- Corny candy (The Soundlings)
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