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S’il y a un nom qui attaché au domaine de l’étrange, de l’horreur ou tout simplement d’Halloween, c’est bien Salem. Cette ville américaine, qui bat des records de fréquentation quand arrive le 31 octobre, a bâti sa réputation sur un évènement pourtant tout à fait dramatique, rapporté, transformé et fantasmé au fil des décennies puis des siècles.
Avant toute chose, si ce n’est déjà fait, je vous recommande d’écouter l’épisode 1 et 2 sur les chasses aux sorcières, ça fait une très belle introduction à notre épisode du jour. Et aujourd’hui, on va s’attaquer à une histoire qui a été récupérée de toutes parts : par le cinéma, la télévision, la littérature et en tout premier lieu par la ville même de Salem. Et pourtant, pas besoin de fantasmer, on sait exactement ce qui s’est passé à Salem en 1692 : si les archives des procès n’existent plus, il existe beaucoup d’autres archives qui permettent de dérouler l’histoire. Mais si on sait comment, on a plus de mal à comprendre pourquoi. Alors revenons à ce qui s’est passé dans cette petite ville puritaine en cette fin de XVIIe siècle.
															Que s'est-il passé à Salem en 1692: les faits
De la divination aux convulsions: les débuts de l'affaire des sorcières de Salem
Décembre 1691 à Salem Village, une petite ville puritaine dans le comté d’Essex, Massachusetts. Des jeunes gens issus des congrégations puritaines qui peuplent le comté se rassemblent pour parler du futur : ils sont anxieux quant à leur l’avenir et les jeunes filles sont curieuses de savoir à quoi ressemblera leur vie d’épouse, puisque que c’est à ça qu’elles sont alors destinées. Elles se rassemblent souvent, juste entre elles, pour faire des petits jeux de divination : elles font ce qu’on appelle des sorts, avec des clous, des haricots, des fers à cheval, pour savoir qui sera leur futur époux et quel sera leur activité. Oui mais voilà, en cette fin 1691, l’un des sorts leur fait peur et elles paniquent. Très vite, certaines d’entre elles commencent à avoir un comportement considéré comme bizarre : des attitudes étranges, des discours qualifiés de ridicules ou en langue inconnue, des crises de larmes, de rire, voire des convulsions.
Les deux premières personnes touchées se trouvent dans la famille du pasteur de Salem Village, Samuel Parris : il s’agit de sa fille, Betty Parris, 9 ans, et d’Abigail Williams, sa nièce, qui a 11 ans. Parris appelle le médecin local qui, après avoir examiné les fillettes, déclare n’avoir trouvé aucun problème physique. Pour lui, pas de doute, les deux fillettes ont été victimes de « la main du diable ». Sur les conseils d’un pasteur voisin, Parris ne fait rien et attend que les choses se tassent.
											Mais elles ne se tassent pas : la rumeur commence à se propager. Une certaine Mary Sibley propose alors de faire un gâteau de sorcière. Ce gâteau, constitué de seigle mélangé à l’urine des filles soit disant ensorcelées (miam) était généralement donné à manger à un chien pour voir s’il était affligé lui aussi, des mêmes symptômes démoniaques. Et c’est Tituba et John Indian un couple d’esclaves vivant chez les Parris qui vont préparer ce gâteau. Tituba vient d’Amérique du Sud et a été achetée par Samuel Paris dans les Caraïbes. Parce que, oui, ne l’oublions pas, on est en pleine colonisation de l’Amérique et en pleine période d’esclavagisme. Certaines sources affirment que c’est Tituba qui a appris aux jeunes filles des sorts pour connaître l’identité de leur futur mari. Mais si vous avez écouté l’épisode sur les origines d’Halloween, vous savez qu’en fait, ce sont des pratiques très anciennes qui avaient bel et bien cours en Europe. 
Bref, on ne sait pas ce que cette histoire de gâteau a donné, ce qu’on sait c’est que, quelques semaines plus tard, Samuel Parris dénoncera Mary Sibley lors d’un sermon pour avoir suggéré, je cite, ce « stratagème diabolique ».
En tous cas, un mois après, la situation a très largement empiré : les comportements des fillettes semblent se diffuser plus vite qu’une épidémie. On compte sept ou huit autres cas chez des filles entre 11 et 19 ans, qui vivent parfois sous le même toit, mais ça, on y reviendra parce que c’est important. Sous la pression populaire, Tituba est arrêtée avec deux autres femmes : Sarah Orsborne et Sarah Good. Lors de leur examen public, les deux Sarahs affirmeront ne pas être des sorcières, mais Tituba avouera et décrira avec force détails le diable avec qui elle est censée avoir eu commerce : un homme velu jusque sur le visage avec un long nez (oui, je sais, vous êtes déçus !). Les trois femmes sont envoyées en prison et Sarah Osborne y mourra. Ce sont des coupables idéales : Tituba est étrangère, esclave de surcroit et a donc un statut inférieur, elle a sans doute eu beaucoup de mal à se défendre, Sarah Good est une indigente qui vient au village pour mendier de la nourriture parfois de manière agressive et Sarah Osborne, malade, ne quittait plus son lit. Trois femmes en marge de la société.
											En mars, malgré les jeûnes religieux et les prières, rien ne change. Le révérend Deodat Lawson, l’ancien pasteur du village, vient donner un coup de main. Il observe des marques de morsure sur certaines jeune filles et Abigail, la nièce du pasteur, se met à sortir les bûches enflammées de la cheminée et à les balancer à travers la pièce quand il vient lui rendre visite. Ça ne va clairement pas mieux.
Petit à petit, des adultes semblent être touchés par ce mal mystérieux et diabolique. La communauté commence à s’agiter et le statut des accusées commence lui aussi à changer lorsque Martha Cory est pointée du doigt. Martha Cory, ce n’est pas n’importe qui. Elle est la femme d’un paysan prospère qui possède beaucoup de terres et Martha est très importante dans la hiérarchie religieuse de village, dont je vous reparlerai après. Les personnes soi-disant ensorcelées diront que, lorsque Martha se tord les mains ou se mord les lèvres, elles peuvent en ressentir la douleur sur leur peau. L’accusation de quelqu’un d’important comme Martha Cory est un tournant dans cette affaire.
Une fois Martha en prison, rien ne s’arrête, bien au contraire : les arrestation s’enchaînent, majoritairement des femmes. La fille de Sarah Good, qui n’a que quatre ans, est envoyée rejoindre sa mère en prison où elle va rester neuf mois à porter des fers.
Plus on avance, plus la respectabilité des accusées augmente. Le cas de Rebecca Nurse est, à cet égard assez emblématique. À 71 ans, elle est connue pour sa gentillesse et sa grande piété. C’est la femme puritaine exemplaire et un pilier de la communauté. Ça ne l’empêchera pas d’être accusée et arrêtée elle aussi.
Il n’est alors plus possible de contenir le problème localement et début avril, Salem Village doit alors demander l’assistance de Salem Town, qui est juste à côté. Eh oui, il y a deux Salems, mais je reviendrai aussi là-dessus. C’est à ce moment-là que la petite Abigail, la nièce du pasteur Parris, déclare que George Burroughs est le sorcier cerveau de toute l’affaire. Et Georges Burroughs, c’est qui ? Un diplômé d’Harvard, gros propriétaire de terres en Angleterre et ancien pasteur de Salem Village, rien que ça ! On va donc arrêter le pauvre Burroughs qui a déménagé dans le Maine, à 350 km de là ! Dans la foulée, le plus riche propriétaire de bateaux du coin est accusé aussi. Le mois suivant, c’est le tour d’élus locaux de Salem Town et à la fin de l’été 1692, certaines des personnes les plus importantes de Salem et leurs proches sont à leur tour accusés de sorcellerie et même la femme du gouverneur du Massachusetts !
Mais revenons au printemps : il y a déjà plus de 70 personnes qui ont été envoyées en prison mais il n’y a toujours pas de procès parce c’est un vrai bordel politique dans le Massachusetts qui n’a pas de gouvernement légal et n’est pas en mesure de gérer tout ça. Il a donc fallu attendre l’arrivée du nouveau gouverneur, mi-mai, pour qu’une réponse légale soit proposée au problème.
											Les procès en sorcellerie à Salem
Le 14 mai 1692, le gouverneur William Phibs arrive à Boston. Il crée très rapidement une cour spéciale avec six membres de son Conseil pour gérer les cas de sorcellerie et le 2 juin, les premiers procès des sorcières de Salem commencent à Salem Town. Sur le mois de juin, six femmes sont condamnées à mort et sont pendues su la colline de Gallows Hill. Pour la petite histoire, l’une d’entre elles avait été acquittée mais ça n’avait pas plu au lieutenant-gouverneur qui était à la tête de cette cour spéciale et cette accusée acquittée a finalement été pendue avec les autres. Le 19 juillet, cinq autres femmes sont pendues dont Sarah Good, une des premières accusées qui dira du haut de l’échafaud à l’homme qui essayait de la confesser : « Je ne suis pas plus une sorcière que vous n’êtes un sorcier et si vous prenez ma vie, Dieu vous donnera du sang à boire. » Le 5 août, cinq autres exécutions sont décrétées, trois femmes et deux hommes dont Burroughs, l’ancien pasteur qui habitait à 350 km de là. 
Les condamnations pleuvent jusqu’en septembre. Quelques-uns sont innocentés, d’autres, ceux qui ont quelques connections à l’extérieur, s’évadent avant leur procès. Les gens, à Salem Village, commencent à comprendre que personne n’est à l’abri et certains fuient la région. La justice tient alors plus du rouleau compresseur que d’une institution légale. À cet égard, le cas de Giles Cory, 80 ans, est assez saisissant. Vous savez, c’est le mari de Martha Cory, la première « villageoise respectable » à être arrêtée. Eh bien son mari, accusé lui aussi de sorcellerie, a choisi de garder de silence, refusant ainsi son procès. Il a été condamné à ce qu’on appelle « la peine forte et dure » (en français dans le texte), une procédure anglaise qui servait à forcer les prisonniers à plaider pour que leur procès puisse se tenir. En deux mots : on a lié le supplicié à des planches sur lesquelles on a entassé des pierres jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ça a pris trois jours.
											Ça fait quatre mois maintenant que les procès s’enchaînent et que les corps des condamné.es se balancent au bout d’une corde mais la situation ne s’arrange absolument pas. C’est alors que plusieurs pasteurs du Massachusetts prennent le problème à bras le corps. En fait, dès le début des procès il y a eu des mouvements à contre-courant : lorsqu’un des témoins affirme qu’une des accusatrices lui a dit accuser les gens pour le plaisir, un des membres de la cour a démissionné. Mais c’est seulement en octobre que plusieurs pasteurs envoient une lettre au gouverneur Phibs pour qu’il arrête le massacre. Ils ne reviennent pas sur le fait que les sorcières doivent être condamnées mais insistent sur le fait qu’elles doivent l’être sur la base de preuves indiscutables. Et les preuves, en l’occurrence, sont plus que discutables.
Le problème c’est que l’inculpation des accusées ne repose pas sur des actes perpétrés par lesdites sorcières mais sur la base d’un contrat qu’elles auraient signé avec le diable, lui permettant de prendre leur apparence pour aller tourmenter les honnêtes gens et perpétrer des actes malveillants, ce qui est un peu difficile à prouver ! Outre ce qui est, déjà à l’époque, devenu l’image d’Épinal des sorcières, le sabbat, les balais etc. que les magistrats recherchent par le biais de la confession ou bien encore la recherche des marques sur le corps, les témoignages, surtout, pèsent très lourds dans les condamnations. Il y a aussi plein d’autres petites choses qui pouvaient vous faire accuser. Le fait que Sarah Good ait omis de réciter des parties d’un psaume, par exemple, apparait comme une preuve de sa culpabilité. On raconte que le pasteur Burroughs sait lire dans les pensées. Du bétail qui tombe malade après qu’une voisine l’ait simplement regardé en passant à côté était parfois une preuve suffisante. Les accusatrices et les accusées étaient également confrontées et si les jeunes femmes soi-disant envoutées disaient ressentir de la douleur aux contact des sorcières, c’en était fini de ces dernières parce que les magistrats considéraient qu’ils avaient une preuve sous les yeux.
											Toutefois, la preuve la plus utilisée lors de ces procès était ce qu’on appelle la preuve spectrale. Tout un programme. La preuve spectrale c’est le témoignage, encore, de la visite de créatures démoniaques qui auraient pris la forme de la sorcière accusée, via le fameux contrat que j’évoquais juste avant. Par exemple, un homme a accusé une domestique de l’avoir frappé et de s’être enfuie par un trou dans le mur, trou qui faisait quelques centimètres de large. Des personnes décédées apparaissent aussi pour nommer leur bourreau comme les deux premières femmes du pasteur Burroughs qui seraient apparues à une habitante de Salem Village pour accuser leur mari de les avoir assassiner. Pendant les interrogatoires, les accusatrices avaient de terribles spasmes et disaient que les spectres des accusés les blessaient en les frappant, en leur trouant la peau avec des épingles. Bref, de plus en plus de pasteurs considèrent que ce type de preuve n’est pas fiable. En effet, comment être sûr que le diable ne prend pas la forme d’une honnête personne pour aller tourmenter les gens ? Après tout, c’est son job, non ? 
L’action des pasteurs semblent ébranler le gouverneur d’autant que les arrestations ne s’arrêtent toujours pas malgré les procès et les exécutions. Le 12 octobre, il décide finalement d’interdire de nouvelles arrestations et la tenue de nouveaux procès. La cour est dissoute et ce n’est qu’au début de l’année 1693 qu’une nouvelle cour spéciale est convoquée pour traiter les derniers cas, une cour qui comprend plus ou moins les mêmes membres mais dont l’activité est très encadrée par le gouverneur qui ne veut plus entendre parler de la fameuse preuve spectrale. Rappelons, à toutes fins utiles, qu’entretemps, sa femme a aussi été accusée de sorcellerie. À la suite de ces derniers procès, 49 personnes seront acquittées, 3 condamnées mais graciées direct par le gouverneur qui, visiblement, voudrait bien passer à autre chose. En mai 1693 toutes les autres personnes arrêtées seront relâchées après un pardon général du gouverneur.
											Au final, cet épisode tragique n’aura véritablement duré que très peu de temps, quelques mois de l’année 1692. Mais ce sont 19 personnes qui ont péri, pendues, 14 femmes et 5 hommes. Plus de 150 personnes ont été arrêtées et jetées en prison. Beaucoup y sont mortes, dont des enfants. Martha Cory a été pendue trois jours après le supplice de son mari. Quant à Rebecca Nurse, la très respectable et gentille dame de 71 ans, pilier de la congrégation du village, elle a d’abord été acquittée mais ses soi-disant victimes auraient convulsé de plus belle jusqu’à la révision de son procès. Rebecca Nurse a donc, elle aussi, été pendue, de même qu’une de ses sœurs. Quant à Tituba, elle serait restée en prison jusqu’à la fin avant d’être rachetée – au sens propre malheureusement, c’est une esclave – mais, en tout cas, je rien trouvé de très probant à son sujet.
Le cas des procès des sorcières de Salem a marqué l’Histoire d’une empreinte indélébile : c’est devenu en quelque sorte le maître étalon auquel beaucoup d’évènements contemporains sont comparés : les « chasses aux sorcières » de MacCarthy en sont un exemple. En tous cas, il est certain que ça a définitivement ébranlé l’ordre puritain en Nouvelle-Angleterre. Mais, maintenant qu’on connait le déroulement des faits, on peut se demander pourquoi le cycle des accusations, procès, condamnations ne s’est pas arrêté et pourquoi personne n’a réalisé que les réponses traditionnelles, les prières et les procès, ne fonctionnaient pas. 
Pour le comprendre, il va falloir nous plonger dans le contexte de l’époque : le contexte général et surtout le contexte très particulier de la double ville de Salem.
											Puritanisme, insécurité et conflits locaux: le contexte historique des procès en sorcellerie à Salem
Le contexte historique : la colonie puritaine du Massachussetts
Salem fait partie de la colonie du Massachusetts, en Nouvelle Angleterre. En cette fin de XVIIe siècle, le contexte politique y est plus que tendu. Je l’ai évoqué juste avant, le Massachusetts n’a plus de gouvernement autorisé par la couronne d’Angleterre qui, elle, pendant ce temps-là, fait allègrement la guerre et les caisses de la colonie sont vides. Les colons redoutent les attaques des peuples autochtones, les amérindiens, avec qui ils sont en guerre depuis trois ans.
Les colons sont des puritains, un groupe issu d’Angleterre avec une morale et des croyances religieuses plutôt strictes. Les Puritains sont dédiés à Dieu et à leur communauté. La colonie du Massachusetts a été fondée par la Massachusetts Bay Company, qui a un but commercial, sous la houlette de John Winthrop qui veut en faire un modèle de société basée sur la doctrine religieuse de la prédestination. Cette doctrine affirme qu’il est décidé dès notre naissance si on est destiné à aller au paradis ou en enfer. Les puritains coloniaux essaient donc de montrer à leurs voisins qu’ils font partie des heureux élus en travaillant dur, en faisant de bonnes actions et en étant actifs au sein de la communauté, un système qui rend les leaders religieux très importants.
Concernant les femmes, sans grande surprise, c’est pas la joie. Subordonnées aux hommes, elles sont considérées plus enclines au péché et à céder à Satan. Vu que les Puritains étaient persuadés que la dépravation était plus naturelle chez les femmes, elles étaient plus sévèrement punies que les hommes quand elles s’écartaient des chemins tracées pour elles. Je ne résiste au plaisir de placer ici le nom d’Anne Hutchinson, une pastoresse non autorisée qui parlait d’égalité et de droits des femmes, qui rassemblaient beaucoup de monde, majoritairement des femmes bien sûr et qui, sans surprise, a été jugée, condamnée et excommuniée en 1638 puis bannie de la colonie.
Dernière chose à savoir : en cette fin de XVIIe siècle, un certain nombre de membres de la jeune génération commencent à remettre en cause certaines pratiques religieuse. Et peu de temps avant l’épisode de sorcellerie à Salem, les autorités religieuses s’inquiétaient de la perte de zèle religieux des paroissiens.
											Salem Village et Salem Town
Mais revenons à Salem et penchons-nous un peu sur cette double ville qui, dans son fonctionnement, portait déjà en germe les évènements de 1692.
Fondée au début du XVIIe siècle, Salem Town est devenue la capitale portuaire des États-Unis, rien que ça ! Centrée sur la pêche et le commerce, elle voit arriver une vague massive d’immigrants puritains. Malgré sa prospérité, Salem Town ne peut pas nourrir correctement cette population qui croît à un rythme effréné. Des parcelles de terrain sont alors accordées à l’intérieur des terres, pour être cultivées. C’est ainsi qu’est né Salem Village, pour nourrir Salem Town. 
Au début, Salem Village n’a pas de nom, ni d’existence légale : elle fait partie intégrante de Salem Town. Oui, mais voilà, plusieurs autres villes dans le même cas ont pris leur indépendance et puis, les habitants de Salem Village en ont assez de se déplacer jusqu’à Salem Town pour aller aux offices religieux : ils demandent donc l’autonomie de Salem Village, autonomie bien sûr refusée par Salem Town qui ne veut pas perdre les taxes que paient les habitants. Après un certain nombre de disputes, les habitants de Salem Village finissent tout de même par obtenir en 1672 l’autorisation d’avoir leur propre pasteur et ce qu’on appelle une meeting house, un lieu de rassemblement mais ils n’ont toujours pas le droit d’avoir une église à eux.
Alors, je fais ici un petit point vocabulaire. Une « église », chez les Puritains, ce n’est pas un bâtiment : c’est un groupe de personnes particulièrement important, une sorte d’élite au sein de la communauté. Donc, à chaque que je parlerai d’église dans cette épisode, je vous parlerai de ce groupe de paroissiens. Bref, donc, Salem Town a bien sûr son église mais Salem Village n’a pas le droit d’avoir la sienne. 
Petit à petit, on sent une rupture se former au sein même de Salem Village : certains continuent de s’identifier comme des habitants de Salem Town alors que d’autres militent activement pour l’autonomie du village. Et Salem Town qui, dans l’histoire, ne veut pas perdre le bénéficies des taxes, rajoute complaisamment de l’huile sur le feu et refuse toutes les demandes d’autonomie. Pour ne rien arranger, Salem Village ne peut pas s’agrandir, elle est cernée par d’autres villes et a bien du mal à défendre ses frontières. Et puis Salem Town est devenue, au fil des années, un centre de première importance, juste après Boston, notamment grâce à ses exportations vers les autres colonies, le Canada, les Antilles ou encore l’Angleterre. Les habitants de Salem Town deviennent de plus en plus riches mais – Ô surprise – cette richesse n’est pas également répartie. Une tout petite partie des dominants, les marchands, possèdent la plus grosse partie des richesses.
											Tout cela déteint sur la politique de la ville, aux mains des marchands. Avant la crise de 1692, il n’y a presque plus de paysans parmi les élus locaux, il n’y a donc plus personne pour défendre les intérêts de Salem Village qui, pendant ce temps s’appauvrit à cause de la division des parcelles pour les héritages. Beaucoup de ceux qui y vivent ont de moins en moins de terres et certains plus du tout.
En gros, Salem Village n’est pas vraiment prise au sérieux en tant que communauté, paroisse, et encore moins en tant que ville et ses habitants se sentent exploités et négligés par Salem Town.
Quel rapport avec la sorcellerie me direz-vous ? On en reparlera plus loin mais vous verrez que les cas de sorcellerie et les accusateurs et accusatrices étaient répartis de manière très intéressante. Mais avant ça, il nous faut nous intéresser de plus près à la vie religieuse de Salem Village.
											Le turnover des pasteurs et la montée en puissance des deux factions de Salem Village
Le pasteur Bayley est le premier à poser ses valises à Salem Village après une procédure peu régulière puisque c’est la fameuse église, qui n’existe pas à Salem Village, qui doit choisir le pasteur. Très vite, des habitants ont commencé à se plaindre de lui, à l’accuser de négliger ses devoirs. Vrai ou faux, cette situation met en tout cas le doigt sur le vrai problème, à savoir qui a le droit de recruter le pasteur à Salem Village ? Petit à petit, entre les personnes qui sont mécontentes du pasteur et les autres, ça vire à l’affrontement suite, notamment, à des décisions prises tantôt par les uns, tantôt par les autres mais au nom de tous. Oui, parce que le problème c’est que Salem Village n’étant pas une ville à part entière, elle n’a pas les intuitions pour régler ce genre de litige. Du coup, c’est l’escalade et les communautés extérieures commencent à voir les gens de Salem Village comme un peu déviants. 
Bayley finit par partir de lui-même en 1680. Arrive alors le fameux Georges Burroughs, engagé après le vote d’une assemblée d’habitants. Sauf que, trois ans après il arrête de s’occuper de sa congrégation parce que les gens de Salem Village ne le payent pas. Forcé d’emprunter de l’argent censé être remboursé par le salaire qu’il ne touchait pas, il est arrêté puis quitte Salem, pour y revenir en 1692, après son accusation de sorcellerie et y être pendu. Ce qui est intéressant ici, c’est que, de nouveau, le village s’est divisé entre les pro Burroughs et les anti Burroughs et ce sont les mêmes habitants que l’on retrouve dans les différents camps à chaque fois.
Nous voilà en 1683 et cette fois c’est Deodat Lawson qui s’y colle. Rappelez-vous, c’est ce révérend qui est venu donner un « coup de main » lors de l’épisode de sorcellerie. Les choses se tassent un peu à son arrivée mais ça repart de plus belle quand des habitants remettent sur la table leur volonté d’avoir une église à eux et un pasteur investi de la totalité des missions religieuses. Bim ! On retrouve les pro et antis de la dernière fois et l’affaire est portée à Salem Town où on leur dit clairement qu’il faut qu’ils arrêtent leur comportement agressif. Déodat Lawson n’aura pas son ordination, l’acte par lequel il serait investi des pleins pouvoirs religieux et, étant donné que, comme ses prédécesseurs, il se retrouve au centre des conflits, il prend ses cliques et ses claques en 1688.
											Salem Village se cherche donc un nouveau un pasteur et les pro-pasteur et pro-indépendance contacte Samuel Parris qui est alors à Boston et qui, on le verra plus tard, négocie ferme sa venue à Salem. Quand il arrive, l’année suivante, les choses s’accélèrent : 25 villageois s’autoproclament « église » et Samuel Parris reçoit la fameuse ordination. 
Les anti-Parris, ceux qui était déjà anti pasteur précédemment, sont beaucoup moins nombreux. Je fais ici un aparté : quand je dis qu’ils sont anti pasteur, ils ne sont pas contre les pasteurs en général bien sûr, ce sont des puritains quand même. Ils sont contre le fait que Salem Village ait son propre pasteur : ils veulent continuer à suivre les services religieux à Salem Town et souhaitent donc que le village en reste dépendant. 
Bref, ils sont moins nombreux mais ils ont envahi l’autre instance décisionnelle du Village, le Comité. On a donc une église pro Parris et un Comité anti Parris et les problèmes ne se font pas attendre : d’entrée de jeu, le Comité vote pour qu’aucune taxe ne soit levée en 1689 pour fournir un salaire au pasteur. Parris ne se gêne pas pour identifier les « ennemis de l’église » c’est-à-dire ses ennemis, dans ses sermons. Fin 1691, le village est plus polarisé que jamais, donc quand les premiers cas de sorcellerie sont découverts, ça n’a pas généré des tensions dans le village, elles existaient déjà bien avant. Les trois pasteurs ont été le centre d’un conflit entre deux factions mais ils n’en étaient pas la source. 
Non, les deux factions qui s’affrontent sont en fait intimement liées à deux familles historiques de Salem Village. Et plonger au cœur de ces familles va nous aider à comprendre comment on a pu en arriver là.
											Sorcères de Salem: comment en est-on arrivés là?
Putnams et Porters: les rivalités familiales à Salem
Les deux familles rivales sont les Putnams et les Porters.. Les patriarches de ces deux familles historiques de Salem Village ont pourtant beaucoup en commun. Tous deux nés dans la même région d’Angleterre, ils ont émigré à Salem Village où ils sont devenus des propriétaires terriens importants et ont prospéré. Au début, tous deux membres de l’église de Salem Town, ils ont eu chacun cinq fils dont trois seulement sont ont survécu jusqu’à l’âge adulte : d’un côté Thomas, Nathaniel et John Putnam, de l’autre Joseph, Benjamin et Israel Porter. Et ce sont donc ces deux familles qui sont à la tête des deux factions du village. D’un côté les Putnams sont pro Parris et travaillent activement pour l’indépendance du village et pour cela, ils utilisent tous les moyens officiels possibles. Par exemple, au moment des procès pour sorcellerie, un quart de l’église de Salem Village est constitué de membres de la famille Putnam. Les Porters, quant à eux, tissent plutôt leur réseau dans l’ombre. Deux salles, deux ambiance. Et si ces gens se détestent, c’est dû au développement économique très différents qu’ont connu les deux familles. 
Commençons par les Porters. Géographiquement parlant, la famille Porter est située tout près de Salem Town, et a accès à la route principale et aux voies navigables. La proximité de Salem Town va encourager la famille Porter à s’investir dans la vie économique et politique de la ville, à des échelons parfois élevés, en diversifiant leurs activités, à tel point que même si le patriarche Porter est à la base un paysan, il est néanmoins reconnu par les marchands de Salem Town comme un des leurs. Les générations suivantes vont continuer à renforcer ces liens : Israel Porter sera membre de l’église de Salem Town mais jamais de celle de Salem Village et il sera le seul fermier à garder un pouvoir politique à Salem Town. Les filles Porter vont faire des mariages avantageux qui vont rapprocher la famille un peu plus de Salem Town. C’est ainsi que des gens comme Daniel Andrew, très fortuné, va entrer dans la famille Porter. Celle-ci, même si elle habite à Salem Village, est donc bien plus liée à Salem Town, par ses liens, ses inclinations et ses intérêts. Ses membres ont une relation ambigüe avec Salem Village et ne participent d’ailleurs quasiment pas à la vie de la communauté. Vous l’avez compris, les Porters sont contre l’indépendance de Salem Village et anti Parris.
											La famille Putnam, c’est tout l’inverse. Leurs terres sont loin à l’intérieur du village, loin de Salem Town, de la route et des voies navigables. Ce ne sont pas de très bonnes terres et, comme je le disais précédemment, il est rapidement impossible de s’agrandir. Les générations suivantes vont, de fait, essayer aussi de se diversifier mais avec beaucoup moins de réussite que les Porters. Ils se sont par exemple lancés dans la fonte du fer, mais c’est un désastre. Pareil pour le commerce. Au fur et à mesure des héritages, les terres sont divisées entre les fils puis les petit-fils entraînant une nette diminution de la richesse de la famille, ce qui déclenchera une très grande anxiété chez la troisième génération, celle qui prendra une part très active dans les procès de sorcellerie. Cet étouffement économique, ils l’ont connu aussi en politique. Le pouvoir qu’ils ont gagné en devenant membre de l’église de Salem Village, il l’ont perdu à Salem Town, ils ont même fini par en être écartés. Et bien sûr, ils sont pour l’indépendance de Salem Village et pro Parris.
Ces deux familles ont donc des trajectoires diamétralement opposées qui vont influencer leur positionnement politique et les amener à prendre position lors de l’arrivée du premier pasteur à Salem Village, une position qui va s’affirmer de plus en plus, emmenant avec elle, les membres de chaque famille et les voisins. Tout ça se cristallise en 1689, trois ans avant les cas de sorcellerie : les Putnams deviennent alors membres de l’église de Salem Village fraichement créée par le pasteur Samuel Parris mais réussissent aussi à faire élire deux de leurs membres à Salem Town. En réaction, les autres élus locaux de Salem Town, refusent de siéger, dont Israël Porter, Daniel Andrew et un autre membre de la famille Porter.
											En 1692, l’année fatidique, les Porters reviennent en force en faisant élire quatre membres de leur famille à Salem Town, soutenus par le plus gros propriétaire de bateaux du coin, Philippe English. La polarisation est à son apogée et quelques semaines après ces élections, le même Philippe English et Daniel Andrew, des membres du clan Porter si vous voulez, sont accusés de sorcellerie. Étrange, non ? En juillet 1692, alors que la folie autour de la sorcellerie culmine, de nouvelles élections ont lieu à Salem Town pour remplacer les membres qui ont été éjectés. La majorité de la famille Porter est dégagée et – devinez quoi ? – le modérateur de cette élection était un Putnam.
Je pense que là, vous commencez à voir en quoi ces rivalités familiales ont un lien direct avec les cas de sorcellerie. Ann Putnam, la femme de Thomas Putnam Junior dont on va reparler, est la plus actives des soi-disant victimes de sorcellerie. En tout, huit membres de la famille Putnam sont impliqués dans le jugement de pas moins de 46 accusé.es. Les Porters, eux sont rarement des victimes directes, mais ils ont joué un rôle important, à leur façon, discrètement. Un des petit-fils Porter a témoigné dans un procès et instillé le doute sur la crédibilité d’une accusation. Israël Porter a soutenu Rebecca Nurse (vous savez, la vieille dame bien sous tous rapports), mais ça n’a malheureusement pas suffi à la sauver. 
Et c’est aussi dans le cadre de cette rivalité que la géographie du village est importante. La très grande majorité des personnes qui ont dit avoir été ensorcelées habitent, au sein de Salem Village, le territoire des Putnams, les personnes accusées et celles et ceux qui ont pris la défense des accusé.es habitent près de Salem Town, le territoire des Porters. 
La rivalité entre les familles est donc la toile de fond de l’épisode de sorcellerie. Mais pas seulement. Au sein des enjeux de groupes il y a des enjeux encore plus personnels qui se font l’écho de ces enjeux collectifs et, pour le comprendre, on va s’intéresser d’un peu plus près à deux descendants de la famille Putnam.
											Problèmes économiques et accusations de sorcellerie à Salem : le cas de Thomas et Joseph Putnam
Thomas Putnam senior, fils du patriarche Putnam, a eu neuf enfants d’un premier mariage, dont Thomas Junior. Quand sa femme décède, il se remarie avec Mary Veren, une femme de Salem Town et a un seul enfant de ce mariage, Joseph. Joseph et Thomas Junior sont donc demi-frères. Contrairement aux autres Putnams qui ont eu la mauvaise idée de se lancer dans l’acier, Joseph, le petit dernier, choisit un moyen plus sûr de gagner de l’argent : le mariage. Son beau-père est riche. Pas étonnant son beau-père c’est Israel Porter ! La trahison ultime. Grâce à ça, il n’est plus dépendant de son père et quand la famille Putnam commence à avoir des problèmes d’argent, Joseph est déjà à l’abri. 
Quand Thomas senior meurt, Thomas junior imagine récupérer la plus grosse partie de l’héritage mais pas de bol, Thomas Senior a surtout gâté sa deuxième femme, Mary Veren et Joseph. Même s’il a touché quelque chose, Thomas junior s’estime lésé par cette décision qui fait de Joseph Putnam, son demi-frère, l’homme le plus riche de Salem Village. D’autant que Joseph a aussi augmenté son pouvoir politique en intégrant les élus de Salem Town. C’est d’ailleurs lui lui qui a essayé de faire virer le pasteur Samuel Parris en 1692. Joseph Putnam est donc définitivement du côté des Porters. 
En résumé, on voit que, plus que la famille, c’est le système communautaire, économique et politique dans lequel les gens évoluent qui déterminent le parti qu’ils prennent au moment des procès de sorcellerie. Joseph est un Putnam mais il s’est beaucoup rapproché de Salem Town et des Porters et prend des décisions similaires aux leurs. 
Évidemment, cette histoire d’héritage ne va pas en rester là. La justice ayant donné raison à Joseph, c’est à travers les accusations de sorcellerie qu’on va voir ressortir toute cette amertume. Ce qu’il faut comprendre c’est que Thomas Putnam et ses frères étaient persuadés que la sorcellerie était la cause de tous leurs malheurs et ils ont été très actifs pendant les procès de 1692. Thomas Putnam junior a témoigné contre 12 personnes, sa fille contre 21. Quant à son frère Edward, il est cité dans 13 cas.
											En fait, les chercheurs pensent que cette partie de la famille Putnam s’est vengé de Mary Veren, cette belle-mère qui prend, à ses yeux, la forme des horribles belles-mères de contes de fées, et de Joseph en déversant leur colère et leur frustration contre d’autres personnes plus ou moins ressemblantes. À ce petit jeu mortel, Ann Putnam dont on a parlé juste avant et qui est la femme de Thomas, est de loin la plus douée. Il faut dire que, de son côté, elle aussi a été lésée financièrement par sa propre famille. C’est elle et sa fille qui ont accusé Martha Cory. Dès que Martha Cory est en prison, elle s’attaque à une nouvelle victime, Rebecca Nurse qui, je ne vous l’avais pas dit, était mariée à un artisan de Salem Town et elle-même vient d’une petite ville qui était en très mauvais termes avec la famille Putnam. Plus on avance, plus Ann s’en prend à des personnes qui ressemblent à sa belle-mère. Non seulement les accusations de sorcellerie permettent aux Putnams de régler leurs comptes mais ils tentent assez clairement aussi, et peut-être involontairement, de trouver des substituts aux personnes qu’ils détestent le plus mais qu’ils n’osent pas attaquer. Oui, parce qu’ils n’attaqueront jamais directement Mary Veren et Joseph, bien que ce dernier, disait-on, s’attendait à être accusé de sorcellerie à tout moment : il gardait un cheval scellé à toute heure du jour et de la nuit et il ne sortait jamais sans son arme. 
Ann Putnam semblait particulièrement déterminée et dès qu’une des femmes qu’elle avait accusées était en prison, elle en accusait une autre, disant qu’à chaque fois, l’emprisonnement avait fait disparaître ses symptômes. Et l’absence de logique a apparemment échappé aux juges. Depuis quand les murs d’une prison arrêtent les créatures démoniaques ? 
Bref, comprendre ce qui s’est passé au sein de la famille Putnam, c’est comprendre ce qu’il s’est passé au sein de Salem. Tout comme Thomas était persuadé d’être victime d’une machination de la part de Mary Veren, la famille Putnam entière considérait que Salem Village était victime d’une machination de la part de Salem Town. Et au milieu de tout ça, il y en a un qui a gaiment jeté de l’huile sur le feu, c’est le pasteur, Samuel Parris.
											Le rôle du pasteur Samuel Parris dans les procès de sorcellerie de Salem
On avait fini par l’oublier celui-là !
Samuel Paris, quand il reçoit son ordination, il a 36 ans et c’est en quelque sorte sa dernière chance de faire carrière. Fils d’un marchand de vêtements londonien, lui aussi s’est senti spolié de son héritage légitime à la mort de ses parents – Ô coïncidence ! Il est arrivé dans la Massachussetts après bien des déconvenues dans le monde du commerce où il voulait faire carrière. Il a fait plusieurs tentatives infructueuses et, clairement, devenir pasteur, c’est un pis-aller pour lui. Ce sont les Putnams, sans grande surprise, qui l’ont invité à venir s’installer à Salem Village et Samuel Parris a négocié sévère avant de venir. Il a été extrêmement tatillon et peut-être un chouia gourmand, concernant notamment son salaire (en même temps, il avait sans doute entendu parlé des déboires de ses prédécesseurs). Il a même été jusqu’à demander qu’on lui cède les terres et la maison dans laquelle il devait vivre. En fait, Parris a un problème avec l’argent et cherche à tout prix à s’assurer une sécurité financière. Sauf, que, en réclamant comme il l’a fait, il a aggravé les clivages déjà existants dans le village. Comme ses prédécesseurs, il est devenu le point central du conflit sauf que lui s’est servi de ses sermons et de son travail religieux pour son profit personnel. Quand son salaire n’a plus été versé, il a été en cours de justice et a dénoncé des villageois pendant ses sermons et quand il a fini par comprendre qu’il n’aurait sans doute pas ce qu’il réclamait, il a combattu de manière impitoyable tous ceux qu’il considérait être la source de ses problèmes. 
Parmi les archives qui existent toujours de la période des procès de sorcellerie, il y a les sermons de Samuel Parris et ses notes et ses sermons montrent à quel point il était obsédé par le problème de l’argent et à quel point ses échecs dans le monde du commerce restaient vivaces. Il mélange systématiquement des textes religieux avec des métaphores autour du commerce et il fait une fixette sur la trahison de Jésus par Judas. Pourquoi ? Parce que Judas a trahi pour de l’argent! Ça tourne en boucle dans sa tête, il a même été jusqu’à chercher combien les 30 deniers gagnés par Judas feraient en livres sterling ! C’est un homme clairement frustré.
											Il a aussi un problème avec le statut. Il espérait clairement devenir quelqu’un à Salem Village, avoir un statut et le respect qui va avec. Mais vu la situation, il récolte exactement l’inverse et, finalement, Salem Village lui renvoie en pleine figure ses échecs précédents. 
Quand il réalise que son ordination et la création d’une église au sein du village ne change rien à la situation, il commence à diffuser dans ses sermons les notions d’infiltration, d’hostilité, de subversion et dénonce la façon dont les cœurs pervertis infiltrent les communautés innocentes, dont la trahison peut venir des personnes les plus proches. Imaginez l’’effet d’un tel sermon sur une famille déchirée comme les Putnams !
Pour ne rien arranger, lui aussi est persuadé que des gens en dehors du village essaient de contrôler les affaires de Salem Village et il fait très vite en lien entre tout ça et la figure bien pratique de Satan. Fin 1691 et en 1692, ses sermons regorgent de métaphores guerrières et agressives. Le village était déjà une poudrière quand il est arrivé, mais c’est probablement lui qui a allumé la mèche. 
Durant toute l’année 1692, dimanche après dimanche, il a exacerbé les peurs avec des textes et des allégories choisies. Cet homme, profondément aigri, s’est probablement rendu compte, à en juger par l’évolution de ses sermons, qu’il courrait à la catastrophe, mais il n’a rien fait pour l’arrêter.
											Le profil des sorcières de Salem
On a déjà évoqué ici plusieurs personnes accusées de sorcellerie et on voit apparaître un profil assez caractéristique chez les soi-disant sorciers et sorcières. On a vu que ceux qui ont annihilé les espoirs des Putnams de faire une carrière politique en font partie, comme Daniel Andrew et Philip English après leur élection à Salem Town. Il y a aussi toutes celles et ceux qui était de la faction adverse comme le mari de Rebecca Nurse qui était anti Parris et plus généralement beaucoup de gens de l’entourage plus ou moins proche des Porters, notamment Israël Porter qui se trouve être lié à une très grand majorité des accusé.es. 
La respectabilité semble avoir joué un grand rôle puisque ni Israël Porter, ni Joseph Putnam n’ont été inquiétés. Tout le monde se connaît à Salem et pour les accusatrices les plus jeunes, les fillettes, c’est une chose d’accuser quelqu’un qu’on a vaguement vu et qui habite loin mais c’en est une autre de désigner quelqu’un qu’on voit tous les jours et dont on sait qu’il est puissant. 
Mais les fameuses « sorcières » sont surtout des gens qui sont à la marge du village dans tous les sens du terme. 82% des personnes accusée vivaient en dehors du Village, que ce soit à Salem Town ou ailleurs. Ce sont souvent des gens qui ont passé quelque temps à Salem Village et qui ont, d’une manière ou d’une autre, perturbé la communauté, qui sont allées à l’encontre d’une forme de stabilité. Ce sont notamment des gens dont la position sociale en 1692 n’était pas celle dans laquelle ils étaient nées. Rebecca Nurse est un bon exemple puisque son mari s’est progressivement enrichi ou encore John Proctor qui avait des intérêts dans plusieurs villes et donc s’est enrichi mais en plus avait contact avec l’extérieur du Village, un extérieur que les gens de Salem considéraient comme un danger. À l’inverse, Sarah Good, une des trois premières accusées, a été destituée de ses droits par sa mère et a joué de malchance dans sa vie pour se retrouver finalement à la rue avec son mari. Sarah Good était surtout connue pour être irascible et demander l’aumône de manière agressive, sans doute parce qu’elle était fâchée et humiliée d’être dans cette position, en plus de rappeler à tout le monde le risque de déchéance économique qui leur pendait au nez. Tous ces gens, en fait, contreviennent à l’ordre social puritain du XVIIe siècle selon lequel il faut accepter la position sociale que Dieu nous a donnée.
Parce que finalement, le problème, dans tout ça, c’est encore et toujours l’argent. On est jaloux de son voisin qui s’est enrichi et on l’envie aussi, même si c’est pas bien : c’est ce qui ressort souvent des témoignages, en tous cas. Et puis on a terriblement peur de devenir pauvre, on a peur de l’avenir : les jeux occultes des fillettes qui cherchent à savoir quelle sera l’activité de leur futur mari ne dit pas autre chose. Les témoignages mettent aussi en avant la peur du changement. En cette veille de XVIIIe siècle, le monde change et localement, on est en train de passer d’une éthique communautaire à une éthique plus individualiste, l’individualisme étant un péché chez les Puritains. Nous en sommes aux balbutiements de la société pré-capitaliste et Salem Town, avec son essor économique, représente une sorte de violation de toutes les valeurs traditionnelles puritaines. Ce changement, inéluctable, fait peur à beaucoup de monde, qui plus est aux communautés enclavées comme Salem Village. Et ce n’est pas un hasard si, lors de la séance de divination qui a mis le feu aux poudres, il y avait la fille et la nièce de Samuel Parris et trois filles Putnams.
											Problèmes d'interprétation et importance du contexte dans l’épisode de sorcellerie de Salem
On finit par l’oublier mais tout est parti du foyer de Samuel Parris mais surtout, tout est parti du comportement de jeunes filles, voire de fillettes. Bon, maintenance qu’on connait le contexte, on peut imaginer dans quel stress vivaient les filles Parris et les filles Putnams : voir les adultes se déchirer pour des questions d’héritage et de statut, ça a de quoi rendre chèvre et vous faire peur quant à votre propre avenir. Ce qui est intéressant et ça a été pointé par certains chercheurs, c’est que toutes ces exécutions auraient pu finalement être évitées facilement. Déjà, la sorcellerie aurait pu être attribuée aux ensorcelées elles-mêmes : après tout, ce sont elles qui ont joué avec le surnaturel. Si leur comportement gênait autant la communauté, pourquoi n’ont-elles pas été réprimandées ? Parce que les adultes ont décidé que c’était de la sorcellerie et ont décidé dans quel sens, il y avait sorcellerie. On a demandé à des enfants « Qui t’a fait ça ? » et les enfants ont désigné des gens, tout d’abord des gens proches mais pas trop importants pour eux comme la pauvre Tituba, puis des gens qui, bien souvent, étaient en désaccord avec leur famille ou des étrangers. Et aussi, d’après les descriptions, les fillettes étaient euphoriques, exaltées, mais ne souffraient pas. Pourquoi y voir de la sorcellerie ? Tout est un problème d’interprétation, mais un problème qui n’a rien à voir avec l’époque.
On a d’autres exemples de comportements similaires, notamment à Boston, mais le pasteur s’en est servi pour l’édification de sa communauté. Résultat: aucune accusation de sorcellerie. Et puis les ensorcelées parlent parfois de gens qui viennent les visiter qui semblent autant divins que démoniaques. C’est l’interprétation qui change tout. Il faut savoir aussi que les colonies des États-Unis ont connu ce qu’on appelle des « éveils religieux » à différentes époques. Souvent, ça a commencé avec des signes d’extrême anxiété, comme à Northampton en 1734, des signes de détresse profonde qui ont culminé dans une vague de suicides. 40 ans après les évènements à Salem, les symptômes de cet « éveil religieux » sont les mêmes, les résultats très différents. Les jeunes ont aussi joué un rôle crucial dans l’épisode de Northampton tout comme dans celui de Salem mais les pasteurs ont transformé ces symptômes en occasion de prières et Northampton a connu une sorte de revival religieux. Deux situations similaires, deux interprétations et deux réponses différentes.
											Le rôle des femmes dans les accusations de sorcellerie à Salem
Enfin, la dernière chose sur laquelle j’aimerais mettre l’accent – et ça ne vous surprendra pas – ce sont les femmes. Ça ne vous aura pas échappé que les femmes, une fois n’est pas coutume, les femmes sont à la fois accusatrices et accusées. 74% des témoins des procès de Salem étaient des femmes et la majorité des accusées et des exécutées l’étaient aussi. Salem sort des schémas traditionnels des affaires de sorcellerie : les femmes accusées ne sont pas forcément en marge de la société, certaines, on l’a vu, en sont des piliers. Mais rappelez-vous ce que je vous ai dit sur le puritanisme : les femmes étaient considérées comme plus aptes à se soumettre au diable. Ces théories qu’on retrouve dans des écrits puritains étaient complètement intériorisées depuis longtemps par la population, les hommes comme les femmes. Dans ce contexte, les premières touchées étant des enfants, mais surtout filles, il n’est donc pas étonnant qu’on ait pensé à de la sorcellerie dans leur cas. En aurait-il été de même si des garçons avaient eu des comportements inhabituels ? Et ce n’est pas étonnant non plus que les fillettes puis les adultes aient largement accusé d’autres femmes, réputées faibles devant la séduction du diable, comme on leur a enseigné. 
Ce qui semble assez net par contre, c’est que, accusées ou accusatrices ont toutes joué le jeu des hommes du village puisque, on l’a clairement vu, ce sont surtout eux qui étaient au centre des problématiques. D’autant que cet ordre moral si chèrement défendu par Parris et les Putnams est un ordre particulièrement défavorable aux femmes, l’exemple de la pastoresse que je vous donnais en début d’épisode le montre clairement. 
Est-ce utile que je précise que l’assemblée qui a présidé les procès était composée à 100% d’hommes ? Oh, je suis sûre que vous l’aviez déjà compris.
											Salem après les procès de sorcellerie
Le retour au calme à Salem Village
Bien ! Il me semble qu’on a fait le tour de la question. Mais voyons un peu ce qu’il s’est passé après c’est année sanglante de 1692. Dans un premier temps, les pro Parris vont déclarer que les ces malheureux ne sont rien qu’un incident de plus dans l’histoire de leur effort pour maintenir leur église et entretenir leur pasteur. Ah la récupération politique !
Je vous passe les détails mais, en vrai, ils vont tous continuer à se tirer dans les pattes et le pasteur Samuel Parris continuera à ne pas être payé pendant longtemps. Ses détracteurs lui reprocheront son rôle dans les accusations de sorcellerie et son manque de charité envers ses voisins. Il finira par faire une semi confession où il dira ne pas avoir parlé à bon escient. Ça va continuer comme ça jusqu’en 1696 quand même mais la position de Samuel Paris au sein du village devient intenable et il finit par s’en aller. Il n’aura touché aucun salaire entre 1691 et 1694.
Salem Village restera instable pendant encore des années, mais l’arrivée d’un nouveau pasteur, Joseph Greene, va finalement apaiser les querelles. Qui l’eut cru ? Détestant les conflits, ce tout jeune pasteur de 22 ans va obliger les anciens ennemis à s’asseoir les uns à côté des autres lors des assemblées, il va rigoureusement séparer sa vie privée de sa vie de pasteur, il fera annuler l’excommunication de Martha Cory et il va fonder une école. Mais surtout, comme il est ouvert à l’extérieur, il va aider le village à s’ouvrir lui aussi et à accepter les changements économiques. 
10 ans après les évènements qui ont ensanglanté Salem Village, ceux-ci sont enfin reconnus comme des erreurs judiciaires. 
En 1752, Salem Village sera enfin indépendante de Salem Town et prendra le nom de Danvers. Et oui ! Le Salem d’aujourd’hui, c’est Salem Town !
La région va continuer à se développer économiquement autour du commerce jusqu’à ce que le port ne soit plus assez profond pour accueillir les plus gros bateaux. C’est le début du déclin de l’industrie navale et le début d’une ère industrielle au XIXe siècle. Mais l’industrie, comme le reste a fini par décliner, ce qui a encouragé Salem à cherche une nouvelle activité économique et la culture populaire va considérablement l’y aider.
											Les procès en sorcellerie : du drame à l’attraction touristique
Salem dans la culture populaire
Le XXe siècle va se passionner pour cette courte période de l’histoire de la ville de Salem. En 1949, Alfred A. Knopf publie The devil in Massachussetts, le tout premier livre moderne sur les procès de Salem qui va renouveler l’intérêt du public et des spécialistes. En 1953, le programme radio de CBS You are there sur les procès de Salem, est adapté à la télévision. La même année, Arthur Miller publie The crucible, traduit en français en « Les sorcières de Salem » pour répondre aux chasses aux sorcières des années 50, c’est-à-dire le Maccarthysme. Miller utilise des personnes ayant vraiment existé comme Rebecca Nurse et John Proctor mais arrange l’histoire à sa sauce. Abigail Williams, qui n’avait que 11 ans en 1692, devient, chez Miller, une jeune adulte responsable d’un triangle amoureux. Il transforme également Tituba en esclave afro-américaine, ce qui va devenir un des clichés relatifs à l’affaire. La pièce de théâtre d’Arthur Miller est un véritable succès. Elle sera adaptée plusieurs fois au cinéma, notamment en France avec un film scénarisé par Jean-Paul Sartre, intitulé Les sorcières de Salem, avec Simone Signoret et Yves Montand. En 1996, une autre adaptation avec Winona Ryder et Daniel Day-Lewis va faire entrer dans l’imaginaire collectif un certain nombre d’interprétation et d’erreurs volontaires de l’œuvre d’Arthur Miller.
Mais pas besoin d’attendre les années 90 pour que l’imaginaire collectif soit bourré de clichés complètement faux sur l’histoire de Salem. À la fin des années 60, l’occulte devient un divertissement notamment à travers le succès de la planche de Ouija en 1966. Deux ans plus tard, le film d’horreur moderne naît au cinéma avec Rosemary’s baby et La nuit des morts-vivants et, à partir de là, l’histoire de Salem va être mise à toutes les sauces cinématographiques et le nom « Salem » va suffire pour évoquer la sorcellerie et le surnaturel à la télé comme au cinéma. De nombreux scenarii de films tournent autour de l’histoire des sorcières de Salem comme The Witch, un film de 2013 qui se passe en Nouvelle Angleterre au XVIIe siècle, à la marge de la société puritaine de Salem, mais, la plupart du temps, même si l’histoire se passe à Salem, ça n’a plus rien à voir comme dans les films Hocus Pocus à destination des plus jeunes. Dans certains films, on va trouver les sorcières de Salem, mais dans une tout autre histoire, généralement surnaturelle. Citons Ma femme est une sorcière, un film de 1944, dans lequel une maléfique sorcière de Salem maudit le pasteur avant d’être exécutée, The lords of Salem en 2013 où les sorcières exécutées à Salem se réveillent d’entre les morts ou encore The Jane Doe identity, un film de 2016, où une femme accusée à tort de sorcellerie lors des procès de Salem en devient réellement une après son exécution.
											Les fictions se sont aussi beaucoup intéressées aux descendantes des sorcières de Salem (toujours des femmes, jamais des hommes, vous remarquerez), comme dans Teen Witch, en 1985, dans Conjuring, les dossiers Warren en 2013 où Bathsheda Sherman est une descendante ou encore dans la série Vampire Diairies où les filles de la famille Bennet sont aussi des descendantes des sorcières de Salem. Parfois, Salem est juste la caution witchy d’une fiction comme dans Satan’s school for girls, un film de 1973 dans le quel Salem n’apparaît que dans le nom de l’académie où il se passe des trucs bizarres, la Salem Academy for Woman, dans Les animaux fantastiques où les anti-sorcières se nomment « les fidèles de Salem » et même dans la série Sabrina, l’apprentie sorcière. Souvenez-vous, le chat qui parle s’appelle Salem! Et puis, il y a aussi tous ces films qui ne cite jamais Salem mais qui y font référence de manière beaucoup moins évidente et qui montrent à quel point la référence est à la fois devenue incontournable et intériorisée. Dans The Warlock, un film de 1989 un chasseur de sorcières capture une créature malfaisante en 1691, juste avant l’année fatidique à Salem. Dans Horror Hotel : the city of the dead, un film de 1960 avec Christopher Lee, une jeune fille est envoyée dans une petite ville lugubre pour faire des recherches sur la sorcellerie et elle va connaitre bien des ennuis dans son hôtel. La ville s’appelle Whitehood mais elle est dans le Massachussetts, comme Salem. De la même manière, le film Les ensorceleuses avec Sandra Bullock et Nicole Kidman se passe aussi dans une ville du Massachussetts où il est question d’une famille dont les ancêtres ont échappé à une exécution pour sorcellerie. Et ça c’est juste pour la télé et le cinéma, il y a aussi la littérature et les jeux vidéos !
											Salem est donc devenu un nom extrêmement connoté. On ne remarquera toutefois qu’aucune de ces fictions ne raconte ou ne prend en compte ce qui s’est réellement passé à Salem en 1692, pas même la série Salem, sortie en 2014, censée revenir sur les procès en sorcellerie mais qui est centrée sur le surnaturel, un surnaturel qui n’a jamais existé en réalité, vous l’avez bien compris.
Il y a une série qui a été particulièrement importante pour la ville de Salem c’est Bewitched, Ma sorcière bien aimée en français. Non seulement huit des premiers épisodes de la saison 7 tournent autour de l’histoire des sorcières de Salem mais surtout, en 1970, après un incendie dans les studios où elle est tournée, la série s’est carrément installée à Salem pour plusieurs épisodes.
Donc depuis les années 70, l’intérêt pour les procès de Salem n’a fait que croitre et, de fait, a rendu la ville de Salem populaire. En 1971, la célèbre sorcière Laurie Cabot a déménagé à Salem et ouvert la première boutique de fournitures pour sorcières. La ville de Salem, qui a flairé le bon filon, l’a nommée en 1977 sorcière officielle de la ville – un comble ! – et les membres de la religion wiccane, un mouvement religieux néo-païen, lui ont emboité le pas et sont venus s’installer dans la ville avec leurs services et leurs boutiques, offrant à Salem cette nouvelle activité économique qu’elle cherchait tant : le tourisme.
											Le dark tourism à salem
En vrai, le tourisme autour des sorcières a commencé bien plus tôt à Salem. En 1930 est inauguré Pioneer Village, un parc à thème « d’histoire vivante » avec quelques expositions en lien avec les sorcières et en 1935, c’est l’ouverture de la Old Witch Jail. Depuis les années 70, le tourisme est l’activité économique qui rapporte le plus d’argent à Salem, encourageant la ville à en faire toujours plus pour développer ce qu’on appelle le dark tourism, un tourisme basé sur, d’un côté, la visite de sites où des atrocités ont été commises et, de l’autre, des attractions faites pour recréer l’évènement. 
Dans cette optique, le Salem Witch Museum ouvre en 1972 et la ville dépasse le million de visiteurs en 1974. Dans les années 80, les établissements relatifs aux sorcières poussent comme des champignons et, en 1982, le Musée, la chambre de commerce de Salem et les boutiques de la ville lancent les Haunted Happenings, un festival pour célébrer Halloween qui commence deux ou trois jours avant le 31 octobre. Mais il n’y a pas de petits profits et à partir de 2023, les Haunted Happenings s’étendent sur la totalité du mois d’octobre avec, au programme, séances de spiritisme, tirages de tarot, croisière au port de Salem, spectacles et le Witche’s Halloween Ball. La même année, Salem a dépassé le million de visiteurs, juste sur le mois d’octobre.
											Aujourd’hui, il n’existe pas moins de trois musées à Salem dédiés aux évènements de 1692. S’ils présentent les choses sous divers angles, leur présentation qui date d’une quarantaine d’années (quand même !), leur style carnaval et l’amateurisme de certaines installations posent question. Est-ce que Salem veut vraiment expliquer aux visiteurs ce qui s’est passé il y a plus de 300 ans ou juste faire de l’argent en mélangeant drame historique, surnaturel et culture populaire ? Ça fait déjà longtemps maintenant que Salem est vu comme un lieu de divertissement et les efforts de la ville pour aller dans ce sens ne sont pas sans faire grincer quelques dents. En 2005, la cité a fait installer une sculpture représentant Elizabeth Montgomery (l’actrice qui joue Samantha dans Ma sorcière bien aimée) assise sur un balai, une démarche considérée par certains de mauvais goût dans une ville qui a exécuté 19 personnes pour sorcellerie.
											Salem reste un cas unique dans l’histoire, un cas où une seule année, 1692, définit une ville entière. Loin des sorcières sur leur balai qui vont danser pour le sabbat, Salem raconte l’histoire d’une communauté qui a grandi trop vite, aussi vite que les inégalités qu’elle a engendrées, une ville déchirée entre tradition et modernité, entre envie d’avancer et peur de l’avenir. Elle nous rappelle que les pires drames peuvent survenir de la précarité, la pauvreté, l’envie, la jalousie, la peur des autres, la non communication et les préjugés.
Et on ferait bien de ne pas l’oublier.
Crédits:
Extraits de films et de séries :
- Hocus Pocus 2 (Anne Fletcher), 2022
 - Les sorcières de Salem (Raymond Rouleau), 1957
 - Vampire Diaries (Saison 1, épisode 7), 2009
 - Sabrina l’apprentie sorcière (Saison 1, épisode 1), 1996
 - Ma sorcière bien aimée (Howard Greenfield & Jack Keller), 1964
 
Musiques utilisées dans l’épisode:
- Sarah’s theme (John Debney)
 - Sports music (Nick Valerson)
 - Fairy chan, elven song (Julius H.)
 - Biggest (Primal House Music)
 - Tense atmosphere with haunting dark soundscape (Universfield)
 - Documentary history background (Mikail Smusev)
 - Classic documentary piano (Mikail Smusev)
 - Elevator music – Bossa nova (Oleksii)
 - Dramatic documentary (Breakz Studios)
 - Delicate (Oleksii Holubiev)
 - Camelot master track (Vasileios Ziogas)
 - Low Noon (John Patitucci)
 - Nature documentary (Alisia)
 - Background piano (Onoychenko)
 - Mystery girl (Jiwon)
 - Memorable (Melodigne)
 - Waking dreams (Crowshade)
 - Alice and the psychedelic teapot (Geoff Harvey)
 
Remerciements:
Koré (pour la voix de Sarah Good)
- Galaxie Pop pour les références cinématographiques
 
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