Transcription
Transcription
À moins que vous ayez passé les derniers mois au fin fond de l’Antarctique, vous n’avez pas pu passer à côté de l’impressionnant cambriolage du Louvre lors duquel des individus ont dérobé de manière spectaculaire les joyaux de la couronne. Ce n’est malheureusement pas la première fois que le Louvre perd un des fleurons de ses collections. Eh oui, en 1911, ce n’est rien de moins que la Joconde qui s’est littéralement volatilisée, occasionnant au passage le plus grand scandale depuis l’invention des musées publics.
Si le sujet vous intéresse je vous recommande la lecture des ouvrages de Jérôme Coignard qui est un spécialiste de la question et dans le travail duquel j’ai très largement pioché pour vous raconter cet évènement hors norme.
On a volé la Joconde!
La découverte du vol et la recherche de la Joconde
Nous sommes le mardi 22 août 1911 à 9h, au Louvre. Louis Béroud, un peintre spécialisé dans les représentations des intérieurs du musée, arrive dès 9h, heure d’ouverture. Il fait partie de ces artistes qui ont une autorisation spéciale pour peindre à l’intérieur du musée et il travaille sur une nouvelle peinture, dans laquelle apparaît la Joconde. Mais, arrivé dans le Salon carré où est exposé la peinture de Léonard de Vinci, il constate qu’elle n’est pas à sa place.
Il se renseigne auprès d’un gardien qui ne s’affole pas plus que ça et pense qu’elle a été emmenée pour être photographiée. C’est tout à fait plausible : le studio d’Adolphe Braun et cie a le droit de faire transporter les œuvres jusqu’à son studio au sein du musée sans forcément prévenir.
Comme la Joconde ne revient pas, on se renseigne : Mona Lisa n’est pas partie se faire tirer le portrait. Là, on commence un peu à s’inquiéter. On lance une première campagne de recherche, puis une deuxième mais pas de trace de la dame italienne. À 11h, on lance une troisième campagne de recherche et cette fois, on retrouve, dans un escalier, le cadre de la Joconde et la boîte vitrée dans laquelle elle était censée être exposée. Et là, enfin, on panique. Paul Leprieur, le conservateur des peintures, est prévenu et autant vous dire qu’il est dans ses petits souliers : il venait à peine d’être recommandé pour recevoir la Légion d’Honneur, ça fait tâche. Georges Bénédicte, le conservateur des Antiquités Égyptiennes est également prévenu. En l’absence du directeur, c’est lui qui assure l’intérim et surtout, il a passé toute la journée de la veille au Louvre. Parce que la veille, le 21 août, c’était un lundi et le lundi, le musée est fermé au public. Tout ce petit monde organise une quatrième campagne de recherche, plus étendue et, la mort dans l’âme, on prévient par télégramme le directeur du Louvre, Théophile Homolle et Étienne Dujardin-Beaumetz, le sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts dont dépend le Louvre.
En début d’après-midi, c’est le tour de Louis Lépine, le préfet de Police, et du quai des orfèvres d’être mis au parfum et 60 inspecteurs investissent le musée. Une plainte pour vol est déposée mais, à ce stade, l’affaire n’est pas ébruitée, on espère encore pouvoir retrouver le tableau dans le musée.
L’enquête commence alors par l’interrogatoire des agents qui assurent qu’on aurait forcément vu le tableau sortir du musée. Leprieur, le conservateur des peintures, lui, est persuadé que la Joconde est toujours dans les murs. Ou bien il essaie de se persuader…
Par précaution, le musée est fermé sous le prétexte d’une rupture de canalisation et Lépine en profite pour faire fouiller tous les visiteurs sortant, pensant que l’un d’entre eux aurait plié la toile sauf… pas de bol, La Joconde n’est pas peinte sur une toile mais sur un panneau de bois. La police fouille le musée, des caves aux combles et même sur les toits, ce qui fera, a posteriori, coulé beaucoup d’encre.
Mais il faut se rendre à l’évidence : la Joconde a bel et bien été volée. Le sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, Dujardin-Beaumetz se répand dans la presse en promettant des démissions et une enquête administrative est ouverte. Mais très vite, une question se pose. Comment on a pu volé aussi facilement l’un des tableaux les plus célèbres ?
Comment a t-on pu voler la Joconde? La sécurité du Louvre en question.
En 1911, la Joconde est exposée dans le Salon Carré, une salle luxueuse qui, comme le veut la mode de l’époque, est surchargée de tableaux. De chaque côté de la pièce, il y a une grande toile et sous chacune d’entre elles une ribambelle de plus petits tableaux, dont la Joconde. Elle a été mise sous vitre en 1907 après qu’une série d’actes de vandalisme ait poussé le musée du Louvre à protéger les œuvres les plus précieuses. La Joconde a donc été placée littéralement dans une boîte en verre qui a créé un véritable scandale parce que, disait-on, on ne la voyait plus à cause des reflets.
À ce stade, on sait qu’elle a été volé un lundi, jour de fermeture et de repos pour la plupart du personnel. Et les lundis, deux gardiens doivent la surveiller. Le problème c’est que ces gardiens doivent surveiller aussi – ironie de l’histoire – la Galerie d’Apollon (oui, oui, cette galerie où déjà, à l’époque, les joyaux de la couronne étaient exposés). Mais, le lundi 21 août, il n’y avait qu’un seul gardien pour surveiller une surface assez grande. En plus, le lundi étant aussi jour de ménage, une tâche elle-aussi assurée par les gardiens, autant vous dire que celui qui avait en charge de surveiller la Joconde n’a pas eu le loisir d’avoir l’œil sur elle.
Et puis, il y a le fonctionnement général du musée qui, après le vol, commence à poser question. Ce n’est pas étonnant si l’agent de surveillance interrogé par Louis Béroud le mardi matin ne s’est, dans un premier temps, pas affolé. Au Louvre, on a l’habitude de voir disparaître puis réapparaitre les œuvres, comme ça, qu’elles partent pour être photographiées, restaurées ou autre. Il n’y a aucun document administratif qui fait état du déplacement des œuvres.
Malgré tout, la Joconde était censée bénéficier d’une surveillance particulière non pas du fait du risque de vol mais de peur qu’elle ne soit dégradée. Il faut dire que le tableau était considéré aphrodisiaque. Telle une popstar, la Joconde recevait régulièrement des lettres enflammées et des fois, il y a des gens qui faisaient des trucs un peu chelous devant le tableau… à tel point qu’un professeur de psychologie expérimentale de la Sorbonne se dira persuadé que le voleur est une sorte de fétichiste malade qui aurait volé la Joconde pour mieux la salir.
La vérité, c’est que le tableau n’est pas si bien surveillé que ça et son rapt met rapidement en lumière le problème du recrutement des gardiens du musée du Louvre. En effet, depuis 1905, c’est le Ministre des Armées qui recrute les gardiens parmi d’anciens soldats. Le problème, c’est que l’Armée en a sans doute profité pour se défaire de ses moins bons éléments. Et le fait est que le directeur du Louvre, suite au vol, admettra qu’il y avait beaucoup d’abandons de poste parmi les gardiens. La surveillance du musée la nuit, qui est quand même quelque chose de très exigeant, est confiée aux nouveaux arrivants, c’est-à-dire aux agent les moins bien formés. Le Louvre a bien une sorte de service de sécurité officieux sous la forme d’agents déguisés en visiteurs mais ils ne travaillent bien évidement pas la nuit et pas le lundi non plus.
Pour faire court, les jours de fermeture, il n’y avait quasiment aucune sécurité au Louvre.
Et si cette situation nous paraît dingue maintenant, en fait ce n’était un secret pour presque personne à l’époque. En 1901, un écrivain évoquait les membres du personnel du Louvre qui étaient logés dans les combles du musée et utilisaient assez logiquement des fourneaux pour cuisiner. Il y avait d’ailleurs des cuisines sous le Salon Carré où était exposée la Joconde et le directeur du Louvre lui-même avait dû quitter son logement de fonction dans le musée à cause de départs d’incendies répétés.
C’est même pire que ça, les problèmes de sécurité au Louvre sont tellement connus que les exemples de gens qui se sont littéralement servis sont légion. Citons l’exemple d’un homme qui, en 1908, s’est introduit par une fenêtre dans la galerie d’Apollon et s’est amusé à déplacer les objets précieux pour montrer à quel point il était facile de les voler. Deux ans auparavant une statue d’Isis de 20 kg – quand même – avait disparu (elle a ensuite été retrouvée). Un journaliste s’est caché dans un sarcophage des antiquités égyptiennes pour prouver qu’il était facile de passer une nuit au musée incognito et un autre journaliste a piqué une stèle antique de 10kg et est allé la déposer au pied du directeur des Beaux-Arts. Et il y a même un petit malin qui s’est amusé à voler tous les boutons des portes qui donnaient sur l’une des cours du musée.
Mais, en vrai, il n’y a pas que le Louvre qui est concerné. À la même époque, les agents de la Bibliothèque nationale ont par exemple découvert des fenêtres découpées dans des journaux qui étaient conservés là-bas et un lecteur du Figaro a même piqué un moulage en plâtre exposé au Musée de la sculpture comparée au Trocadéro pour l’amener au journal.
Bref, au bout de 24h d’interrogatoire, la seule chose que sait la police, c’est que la sécurité du Louvre est plus que défaillante.
À la recherche de la Joconde: l'enquête interne
Dès le mercredi après le vol, on tente une reconstitution des faits. On en conclut que le voleur s’est laissé enfermer dans le musée dans la nuit du dimanche au lundi, qu’il a opéré entre 7h et 7h30 du matin et qu’il a mis entre 6 secondes et 7 minutes pour décrocher le tableau en fonction de son habileté. On essaie de retracer son parcours à travers le musée mais la seule chose dont les policiers sont vraiment sûrs c’est que le voleur est passé par l’escalier des Sept-Mètres, puisque c’est là où on a retrouvé la boîte vitrée et le cadre de la Joconde. Et d’ailleurs, les enquêteurs découvrent assez rapidement que c’est un escalier très passager puisque c’est le seul endroit dans cette aile du musée où il y a des toilettes, que c’est là où les gardiens viennent prendre de l’eau pour faire le ménage et que même l’architecte en charge du Louvre est passé par cet escalier le fameux lundi 21 août: il a bien vu qu’il y avait des choses qui trainaient dans l’escalier mais il dira de lui-même n’y avoir accordé aucune importance. D’ailleurs, le bouton de la porte de l’escalier des Sept-Mètres a littéralement disparu.
On se rend également compte que les portes sont régulièrement laissées ouvertes et que l’on peut facilement graisser la patte des gardiens.
Le fameux cadre et la boîte vitrée sont transportés au service de l’Identité Judiciaire de la Préfecture de Police de Paris, service géré par Alphonse Bertillon, connu pour son système d’identification (vous savez, c’est notamment à lui que l’on doit les fameuses photos d’identification judiciaires de face et de profil). Il est aussi connu à l’époque pour s’être illustré de bien mauvaise manière dans l’affaire Dreyfus en s’acharnant sur l’accusé sans véritable preuve. Bref, toujours est-il que Bertillon a contribué à améliorer le relevé d’empreintes et que, des empreintes, il y en a partout sur le cadre et la boîte vitrée. Une fois mises de côté celles des ouvriers qui les ont poussés de leur chemin dans l’escalier et celles des gardiens, il reste une empreinte de pouce gauche, très probablement celle du voleur et ça s’arrête là. On ne fait plus rien de cette empreinte.
Le 31 août, le juge Drioux, en charge de l’affaire, se désintéresse du vol de la Joconde, laissant le dossier entre les mains des agents de la Sûreté. À ce stade, 10 jours après le vol, les copistes, les maçons et les peintres présents le lundi ont tous été mis hors de cause, la police n’a pas vraiment de piste sérieuse et les têtes commencent à tomber : Théophile Homolle, le directeur du Louvre, est envoyé à la Bibliothèque nationale et est remplacé par un inspecteur général du Ministère de l’intérieur. Le gardien chef du Louvre, tenu responsable des problèmes liés aux agents de surveillance est licencié et plusieurs gardiens considérés laxistes passent en Conseil de Discipline. Le seul à sauver sa tête c’est Dujardin-Beaumetz, le sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, ce que ne manquera pas de noter la presse.
Il faut retrouver la Joconde: l'enquête
Le vol de la Joconde dans la presse
Parlons un peu de la presse justement, parce qu’à cette époque-là, c’était pas des tendres ! L’affaire du vol de la Joconde a eu un énorme écho dans les journaux qui s’en sont donnés à cœur joie, chacun à sa sauce. Évidemment dans un premier temps, c’est la stupéfaction et le doute aussi. Il faut dire que l’année précédente, le journal Le cri de Paris avait annoncé le vol de la Joconde en racontant qu’elle avait été remplacée par une copie pour tourner en ridicule sa mise sous cloche dans la fameuse boîte vitrée.
Une fois avéré, le vol du 21 août 1911 a suscité différentes réactions, en fonction du bord politique des journaux. Tout le monde y va de son avis et les accusations pleuvent. Par exemple l’architecte de la Samaritaine pointe la culpabilité de l’État et surtout les hausses extravagantes de budget pour la Marine et l’armée alors que le budget des Beaux Arts est ridiculement petit. Le journal Le Temps, lui, s’en prend aux personnes qui ont un passe-droit pour entrer dans le Louvre le lundi, jour de fermeture, et qui sont souvent des amis de gens haut placés. Le Journal des Débats épargne le directeur du musée qui a souvent alerté les politiques sur les problèmes de sécurité du Louvre mais les journaux de droite et d’extrême droite, globalement, étrillent Théophile Homolle. Le Figaro met également en cause l’éprit syndicaliste des gardiens mais l’Action française, d’extrême droite, va beaucoup plus loin et part dans un vrai délire antisémite sous la plume de Léon Daudet (le fils d’Alphonse Daudet, vous savez, celui qui a écrit La chèvre de Monsieur Seguin et qui a visiblement transmis sa haine des juifs à son fils). Léon Daudet donc, affirme que le vol a forcément été commis par un juif ou commandité par les Juifs présents aux gouvernement pour récupérer de l’argent.
Je pense qu’à ce stade, il est important de remettre tout ça dans son contexte. Je l’ai évoqué tout à l’heure, l’affaire Dreyfus est terminée depuis plusieurs années maintenant mais elle a durablement divisé l’opinion française. Léon Daudet fait partie de ces personnes qui ne décolèrent pas depuis la réhabilitation du capitaine Alfred Dreyfus et qui saisit toutes les occasions pour remettre de l’huile sur le feu dans un contexte de montée des nationalismes à la veille de la Première Guerre Mondiale.
De même, si le journal conservateur Le Gaulois dénonce les lois ouvrières qui, en légalisant le repos hebdomadaire, auraient donné aux gardiens une bonne excuse pour « se relâcher », l’Action Française parle carrément de sabotage du personnel de surveillance du musée du Louvre dans le but d’attirer l’attention du public sur ses revendications syndicales. Rien que ça.
La presse parle beaucoup d’une possible commande d’un riche collectionneur américain qui souhaiterait enrichir sa collection personnelle avec le portrait de Mona Lisa.
Ici aussi, une remise en contexte me semble nécessaire. À cette époque, le monde s’est largement ouvert à la libre circulation des biens et des personnes et ça fait peur à beaucoup de monde et pas qu’à l’extrême droite, notamment en ce qui concerne les États-Unis. La culture étatsunienne est alors très présente et il y a effectivement beaucoup de riches étatsuniens qui viennent en Europe acheter des œuvres pour leur collection privée. Le journal l’Action française, encore lui, crache sur cette « américanisation » du pays qu’il considère comme un signe de décadence de la France et il va plus loin en faisant carrément un amalgame entre juifs et américains. On est sur une rhétorique de la haine de l’autre, rien de neuf sous le soleil. En tous cas, ça va générer un nombre impressionnant de fausse pistes toutes liées à des étrangers, amenant parfois à des arrestations relativement arbitraires comme celles d’ouvriers allemands ou d’étudiants espagnols.
Ajoutez à ça un climat de tensions sociales à la suite de plusieurs années de grèves ouvrières – ce qui explique pourquoi l’extrême droite s’en prend autant aux ouvriers dans cette affaire – et beaucoup de criminalité (c’est l’époque de la bande à Bonnot et d’un grand nombre de procès sensationnels pour meurtres), le tout exacerbé par la popularité de récits de crimes, comme par exemple Fantomas et par la presse qui aime brouiller les pistes entre réalité et fiction et vous avez un contexte explosif.
Les journaux, en profitent aussi pour régler son compte à Dujardin Beaumetz, le sous-secrétaire d’État aux Beaus-Arts, connu pour son goût du luxe et ses abus en termes de dépenses publiques : le vol de la Joconde est considéré par la presse comme le « couronnement de sa carrière ». Les critiques du régime républicain s’emparent de ce que l’on pourrait qualifier de dernier grand fait divers d’avant-guerre pour attaquer la bureaucratie corrompue et pour dénoncer les mœurs soi-disant décadentes de l’époque.
Mais le vol du tableau de De Vinci permet aussi au pan le plus aisé de la population, la bourgeoisie, d’essayer de se réapproprier le Louvre. Aussi incongru que ça puisse nous paraître aujourd’hui, le Salon Carré du Louvre était en effet connu pour être un lieu de rendez-vous matrimoniaux arrangés par les différentes familles de la haute société parisienne. Des députés ont donc profité du vol de Mona Lisa pour réclamer la fin de la gratuité du musée (oui l’entrée était gratuite) en arguant qu’il fallait fermer le Louvre aux mendiants qui venaient s’y réchauffer. Oui, ça devait faire tâche pour les rendez-vous matrimoniaux de devoir enjamber des mendiants…
Tout ça montre à quel point cette affaire de cambriolage, via la presse, cristallise toutes les anxiétés de l’époque, qu’elles soient politiques, sociales ou culturelles. Mais ce n’est pas tout, la presse va jouer un rôle actif dans cette affaire. En plus des 25 000 francs offerts par les Amis du Louvre à toute personne qui donnerait des indications permettant de retrouver le tableau volé, plusieurs journaux promettent eux aussi de généreuses récompenses, allant de 10 000 à 50 000 francs quand même, dans une chasse au scoop qui va parfois, voire souvent, interférer avec le travail des enquêteurs.
À la recherche de Mona Lisa: fausses pistes et dénonciations
Le 29 août, huit jours après le vol, le Louvre rouvre enfin ses portes et les badauds se pressent pour voir l’emplacement vide sur les murs du Salon Carré. Certains visiteurs déposent même des fleurs et un des gardiens confiera à Sacha Guitry, qui s’est également déplacé pour l’occasion, que la Joconde a beaucoup plus de visiteurs depuis qu’elle n’est plus là. En décembre 1911, trois mois après le vol, un tableau du peintre Raphaël est finalement accroché à la place de Mona Lisa, geste qui sera vu par la presse comme un acte de résignation.
Il faut dire que la police rame un peu à trouver le coupable. Parmi les premiers soupçonnés, on trouve les humoristes. Je vous jure que c’est vrai ! À cette époque, ils adorent s’en prendre aux institutions artistiques et particulièrement au Louvre – comme le montre d’ailleurs très bien le canular du journal Le cri de Paris dont j’ai parlé précédemment – et ne vont d’ailleurs pas s’en priver pendant le long temps de l’enquête. Policiers, conservateurs et journalistes resteront longtemps persuadés qu’il s’agit simplement d’une farce ou d’un reportage visant à montrer les lacunes du musée en matière de sécurité.
Il y a également la théorie de la fausse Joconde qui veut que le tableau volé serait un faux, une théorie qui va faire long feu et qu’on va retrouver jusque dans les années 30. Heureusement, il existe des photos officielles recto/verso de l’original que Paul Leprieur, le conservateur des peintures du musée du Louvre, va faire dupliquer et mettre sous séquestre.
Outre les fausses théories, les enquêteurs doivent faire face à une pluie de dénonciations. Il faut dire que le secret de l’instruction est constamment violé par la presse, les recherches des policiers sont étalées dans les journaux et les journalistes harcèlent les gardiens du musée. Tout cela crée des rumeurs pour tout et rien du fait de gens qui croient avoir vu quelqu’un aux abords du musée avec un paquet suspect.
La police a bien du mal à démêler le faux du vrai et du coup, a bien failli passer à côté d’un témoignage capital. Après avoir vu dans la presse l’histoire du bouton de porte manquant dans l’escalier de Sept-Mètres, un employé d’un magasin de nouveautés (un magasin de tissu si vous préférez) affirmera avoir vu, le 21 août, un homme très pressé vers 7h30 sur le quai du Louvre, portant un panneau rigide enveloppé dans un tissu, un homme qui aurait jeté un objet dans les fossés du musée. Et la police retrouve bel et bien le bouton de la porte de l’escalier des Sept-Mètres dans les fossés du Louvre, démontrant au passage que les différentes campagnes de recherche après le vol ont été plutôt lacunaires.
En tous cas, on a enfin un indice sérieux ! C’est vrai, malheureusement, cette piste prometteuse va être mélangée avec d’autres qui emmènent très loin de là où se trouve alors la Joconde. On arrête tous ceux qui ont été vus avec des paquets plats, on enregistre des tonnes des faux témoignages et de dénonciations calomnieuses, la police reçoit des centaines de lettres dont certaines de gens qui écrivent simplement pour donner leur avis.
On cherche du côté de Bordeaux, de la Belgique, de l’Allemagne, des Pays-Bas et ça coûte du temps, de l’argent et ça mobilise beaucoup de monde. La police, sur le grill, va parfois aller très loin quand la piste est prometteuse et dépenser des sommes folles pour revenir bredouille pour le plus grand plaisir de la presse, sans compter les blagues dans lesquelles tombent parfois les hauts fonctionnaires comme le sous-secrétaire d’État aux Beaux-arts (oui, toujours le même).
Et l’une de ces pistes prometteuses va même concerner des personnages illustres du monde artistique.
L'affaire Apollinaire
Retour quelques jours après le vol du tableau de Léonard de Vinci, le 23 août 1911 précisément. Paris Journal publie alors un article dans lequel un certain Vivien baron d’Ormesan explique avoir volé de nombreux objets dans les collections phéniciennes du Louvre. Pour preuve de ce qu’il avance, il a même ramené une statuette au journal. Il fanfaronne en ajoutant avoir déjà eu très envie de voler la Joconde.
Ce baron n’en est en fait pas un et s’appelle Honoré Joseph Géry Pieret. Il est belge et a un joli palmarès à son actif : deux fois déserteur à l’armée, il accumule les condamnations pour escroquerie, joue aux courses et est condamné pour chantage. Il voyage beaucoup et en 1905, il rencontre Guillaume Apollinaire, le poète surtout connu à cette époque comme journaliste et ardent défenseur de l’avant-garde artistique. En 1907, il recueille Pieret chez lui et l’étudie un peu comme une bête curieuse. Il le dit « fou et sans scrupule » car il sait que Pieret a volé deux statuettes phéniciennes au musée du Louvre et qu’il a vendu l’une d’elles à Picasso et, comme le peintre espagnol ne voulait pas acheter la seconde, l’escroc belge lui a offert. Est-ce que Picasso connait la provenance des statuettes ? C’est fort probable puisque Apollinaire a essayé de le convaincre de les rendre. Picasso refuse, disant les avoir abîmer en faisant des recherches.
Apollinaire, qui emploie Pieret comme secrétaire et domestique, commence à avoir beaucoup de problème avec son protégé et finit par le congédier. Pieret revient finalement vers le poète au mois de mai 1911, avec une troisième statuette dans sa valise, elle aussi volée au Louvre. Apollinaire lui demande de la restituer et c’est cette statuette que Pieret va amener à Paris Journal lors de son interview. Le voleur belge demandant de plus en plus d’argent à Apollinaire et menaçant de dévaliser le voisinage, le poète finit par le chasser la veille du vol de la Joconde, ce qui explique que, dans un premier temps, la police ne n’intéressera pas à Apollinaire.
Parce que, bien évidemment, quand l’article faisant état des exploits de Pieret paraît dans Paris Journal, deux jours après le vol de la Joconde, la police se met à le rechercher activement. Mais il y en a un autre qui n’en mène pas large, c’est Picasso, parce qu’il sait que les statuettes volées mentionnées dans l’article sont celles qu’il a acquises. Il rentre fissa à Paris et Apollinaire, qui découvre que Picasso a menti – qui s’en étonne ? – et que les statuettes sont intactes, persuade le peintre de les ramener à Paris Journal sous couvert d’anonymat.
Il faut dire que les deux hommes risquent gros. Apollinaire, fils d’un italien et d’une polonaise, et Picasso, espagnol et sous surveillance du fait de ses liens avec le milieu anarchiste, risquent tous deux d’est expulsés. Quant à Pieret, il semble soudain se rendre compte de ce qui lui pend au nez : il recontacte Apollinaire et lui demande de l’aide. Le poète, qui se doute bien qu’il n’a pas volé la Joconde, lui donnera un peu d’argent pour quitter Paris et se faire oublier.
Sauf que la Police finit immanquablement par faire le lien entre les deux hommes et, le 7 septembre 1911, Guillaume Apollinaire est arrêté pour complicité de recel de malfaiteur et d’objet volé et écroué à la prison de la Santé. Il a beau avoir demandé à ce que son arrestation ne soit pas ébruitée, les détails finissent fatalement par s’étaler dans la presse.
Lors de son interrogatoire, Apollinaire protège Picasso mais finit par donner son nom en ajoutant tout de même que le peintre ne connaît pas la provenance des antiquités qu’il a achetées. La police convoque Picasso qui, trahison ultime, dira qu’il n’a jamais vu Apollinaire (alors qu’ils sont censés être amis). Dépité le poète demande à interroger le peintre espagnol lui-même. Celui-ci finira tout de même par confirmer les déclarations d’Apollinaire.
Le poète est enfin libre, à la grande déception des agents de la Sûreté qui étaient persuadés qu’Apollinaire les mèneraient sur les traces d’une bande de malfrats internationale et sur les traces de la Joconde.
Si les amis du monde de l’art et de la littérature de Guillaume Apollinaire se sont mobilisés lors de son incarcération, le poète sortira grandement blessé de cette histoire qui lui vaudra des inimitiés tenaces. Il faut dire que les antisémites s’en sont donnés à cœur joie en clamant qu’étant donné son ascendance polonaise, il était forcément juif, ce qui est faux. La vérité c’est que certains ne lui ont pas pardonné de s’être rangé du côté de Dreyfus quelques années auparavant. Mortifié par cette affaire, dont Picasso, lui, ressortira complètement indemne, Apollinaire s’en servira néanmoins de matériel pour ses écrits quelques années plus tard. C’est déjà ça.
Mais tout ça, ça ne nous rend pas la Joconde ! En tous cas, ça explique comment et pourquoi, les enquêteurs ont perdu un temps précieux à courir après Pieret, persuadés qu’il avait le tableau. C’est l’une des très très nombreuses fausses pistes que devra démêler, entre autres, le service de la Surêté, sans savoir que la Joconde n’est en fait pas très loin.
Les pistes vont, en tous cas, s’étioler les unes après les autres et deux ans après le vol de la Joconde, on n’a pas avancé d’un iota et tout le monde a perdu espoir de la retrouver.
On a retrouvé la Joconde! L'arrestation de Vincenzo Peruggia
La Joconde en Italie
La police française a cherché partout : sur le territoire national, en Belgique, en Allemagne, en Angleterre mais bizarrement, personne n’a pensé à l’Italie. Et pourtant… le 25 novembre 1913, deux antiquaires italiens, un romain, un florentin, reçoivent un courrier en italien d’un certain M. Léonard (très subtil !) qui leur annonce qu’on procède à la vente de la Joconde par correspondance à Paris. Ce M. Léonard laisse entendre aux antiquaires qu’il souhaiterait que le tableau revienne en Italie. Ce serait, dit-il, une belle revanche sur la France qui a volé une quantité d’œuvres d’art pour créer le Louvre en se gardant bien d’expliquer aux visiteurs d’où elles viennent. Il encourage donc les antiquaires à fixer eux-mêmes un prix – ce qui, en soit, est assez curieux – auquel le généreux M. Léonard consentira à leur faire une ristourne de 25%.
L’antiquaire romain ne répond pas mais Alfredo Geri, l’antiquaire florentin, intrigué fait une offre, se disant qu’il n’a pas grand chose à perdre si ce n’est du temps. Avec l’aide de Giovanni Poggi, le directeur du la Galerie des Offices, le grand musée de la ville de Florence, il négocie pour tenter de faire venir ce M. Léonard, plutôt récalcitrant, en Italie. De leur côté, Géri et Poggi ne contacte personne de peur d’avoir affaire à un menteur : il faut dire qu’en Italie on a suivi les déboires de la police française qui s’est, il faut l’avouer, ridiculisée dans toute cette affaire. Le vendeur finit par accepter et le 13 décembre 1913, l’antiquaire découvre le fameux M. Léonard, qui ne paie pas de mine, c’est un petit homme habillé comme un ouvrier. Ce monsieur est visiblement italien lui-même et, rassuré par le sérieux de ses deux interlocuteurs, les amène le lendemain dans la petite auberge dans laquelle il séjourne. Dans sa chambre, il tire une caisse en bois de sous le lit et, au milieu des pinceaux, d’outils de plâtrier, il en retire un panneau enroulé dans un tissu. Poggi, le directeur des Offices, observe le tableau et là, il est perplexe : si c’est une reproduction, elle rudement bien faite! Avec l’accord de M. Léonard, il amène le tableau aux Offices où il le confronte aux photos du Louvre, notamment celles du revers du panneau original. Il doit alors l’admettre : c’est bien la vraie Joconde.
J’aurais tellement aimé voir sa tête!
Poggi fait prévenir en catastrophe le ministre italien de l’Instruction Publique. Le lendemain, le préfet de police de Florence fait arrêter M. Léonard et le fait interroger. Bien évidemment, il ne s’appelle pas vraiment M. Léonard mais Vincenzo Perrugia, il a 30 ans et est effectivement italien, lombard plus précisément. Il intrigue beaucoup les policiers : il est d’un calme désarmant pendant l’interrogatoire et on est surpris par le soin qu’il a pris dans la conservation du tableau. Perrugia explique qu’il voulait rendre la Joconde à sa patrie et venger son vol par la France puisque, dit-il, elle fait partie des trésors italiens volés par Napoléon pendant les campagnes d’Italie.
C’est donc le moment pour moi de faire un petit aparté sur la question des spoliations napoléoniennes. La conquête de l’Italie par Napoléon s’est bel et bien accompagné d’un pillage artistique qui prenait place dans un vase plan mégalomaniaque de création de collections censées représenter un patrimoine culturel européen, un projet total avec mise en scène de la soumission des vaincus dans de grandioses défilés dans Paris des œuvres pillées. Ça, c’est une réalité. Mais ce que semble ignorer Peruggia, c’est que la majorité de ces œuvres ont été rendues à l’Italie à la signature du traité de Paris en novembre 1815, suite à la défaite de Napoléon. Certaines œuvres, après négociation, sont restées en France, comme les Noces de Cana de Véronèse qui était d’ailleurs exposé dans le Solon Carré avec la Joconde. Ça c’est pour les campagnes napoléoniennes.
Mais, la Joconde, elle, n’a pas été volée par Napoléon, elle était déjà en France depuis bien longtemps quand les campagnes d’Italie ont commencé. Au XVIe siècle, après sa victoire à Marignan, 1515, François Ier a proposé à Léonard de Vinci de venir s’installer au royaume de France. Et le peintre italien l’a suivi, emportant avec lui quelques-uns de ses tableaux, dont la Joconde, que François Ier achètera avec l’argent sonnant et trébuchant du royaume. Un achat en bonne et due forme !
Cette parenthèse étant faite, revenons à nos moutons. On a enfin retrouvé la Joconde ! La France est prévenue et le dossier est rouvert même si la police, quelque peu embêtée, dira ne jamais l’avoir fermé. Il faut dire que le soufflé est retombé en France. La presse s’est lassée de cette enquête sans fin et se passionne pour d’autres fais divers ou d’autres scandales : c’est l’époque du naufrage du Titanic et de la bande à Bonot comme je vous le disais tout à l’heure: il y a de quoi faire. Gery Pieret qui a réussi à échapper aux autorités, a été condamné à 10 ans de prison par contumace mais il sera finalement retrouvé au Caire. Le sulfureux sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts Dujardin Beaumetz, est mort, non sans laissé quelques scandales derrière lui.
Bref, on était passés à autre chose.
L’arrestation de Peruggia va relancer la machine : on va enfin savoir comment il s’y est pris.
La vérité sur le vol de la Joconde au Louvre
Vincenzo Perrugia est donc italien et a quitté la maison familiale à 12 ans pour devenir peintre en bâtiment à Milan. À 18 ans, il vient une première fois en France à Lyon, mais doit rentrer en Italie pour se soigner : il est en effet atteint de saturnisme, sans doute du fait des vernis à base de plomb qu’il manipule dans son travail. Par la suite, il travaille tantôt en France tantôt en Italie. En 1908, il s’installe définitivement à Paris. Il est arrêté deux fois pour des faits mineurs mais qui suffisent à le faire ficher au service de l’Identification Judiciaire, on y reviendra.
À Paris, il travaille pour l’entreprise Gobier. C’est un ouvrier plutôt sans histoire, victime, comme beaucoup, de racisme ordinaire. Petite remise en contexte : les Italiens sont le groupe d’immigrés le plus important en France en 1911, 36% de la population d’immigrés très exactement et, même s’il y en a beaucoup à Paris, ça ne les protège évidemment pas de la bêtise raciste des gens et Perrugia comme les autres, en fera les frais, d’autant que c’est un ouvrier zélé et qu’il a la confiance de son patron qui l’envoie travailler pour des clients importants comme les administrations et parmi elle, le Musée du Louvre. Et, au musée du Louvre il participait à la mise sous vitre des œuvres du Salon carré.
Il travaille chez Gobier jusqu’en mai 1911 puis ensuite pour une autre entreprise du nom de Perotti qui, elle, ne compte pas le Louvre parmi ses clients. Peu importe, ça fait un petit moment que l’idée de prendre un tableau italien dans le Salon carré lui trotte dans la tête et le 21 août, au lieu d’aller travailler, il part au Louvre. Il y entre à 7h du matin, il connaît le chemin et passe par la porte de l’escalier des Sept-Mètres qui n’est pas fermée. Il a quand même beaucoup de chance parce qu’il ne croise personne. Au Salon Carré, il décide de prendre la Joconde. Parce que, oui, il n’avait spécialement prévu de voler ce tableau-là précisément, il ne la vole pas parce qu’elle est célèbre mais parce que c’est l’un des tableaux les plus petits exposés dans le salon Carré.
Il embarque le tableau et sa boîte vitrée, retourne se cacher dans l’escalier des Sept-Mètres où il retire le tableau de sa boîte et de son cadre, là on les retrouvera plus tard, le tout très rapidement puisqu’il est bien placé pour connaitre le mécanisme. Et – je sais que vous vous posez la question – oui, c’est bien l’empreinte de son pouce gauche que les policiers ont trouvé sur la vitre. Problème, entre temps, quelqu’un a verrouillé la porte de l’escalier. Il tente de dévisser la poignée mais elle lui reste dans les mains. Peruggia met la poignée dans sa poche, recouvre le tableau avec sa blouse et ressort par le grand escalier du Louvre – vous savez, celui où se trouve la statue ailée de la victoire de Samothrace – avant de repartir en prenant garde d’éviter le concierge qui n’aurait pas manqué de vérifier ce qu’il transportait. Une fois dehors, il se débarrasse du bouton de porte en le balançant dans les fossés et rentre chez lui avant de repartir au travail où il justifie son retard par une mauvaise gueule de bois.
Et c’est tout.
Pendant deux ans, alors que les autorités françaises cherchent la Joconde de l’Allemagne aux États-Unis, le tableau est simplement posé sur la table du modeste logis d’ouvrier de Vincenzo Peruggia, près du canal Saint-Martin, à Paris. Ayant assez peu d’amis, il n’est pas trop dérangé par les visites. Seul son ami Vincenzo Lancellotti est au courant, il a même gardé le tableau pendant l’hiver 1911 parce que Peruggia craignait que l’humidité de son logement n’abîme le tableau. Parce que mine de rien, il en a pris soin, il a même confectionné la caisse en bois dans laquelle l’antiquaire Italien et le directeur des Offices l’ont trouvé.
Le pire dans l’histoire c’est que Peruggia a bel et bien été interrogé par la Police française chez lui. Pendant ce temps, la Joconde était dans la pièce à côté.
Donc pas de cambrioleur hyper entrainé, pas de crime en bande organisée, pas de détraqué sexuel qui voulait assouvir ses désirs bizarres, juste un ouvrier qui a décroché un tableau. La question qui se pose maintenant, c’est comment la police a pu passer à côté d’un ouvrier qui a travaillé au Louvre ?
Les manquements du Service de la Sûreté
Lorsque Paul Jacquier, nouveau sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, est prévenu de la réapparition de la Joconde, il contacte aussitôt Drioux, le juge d’instruction qui s’était désintéressé assez vite de l’affaire et qui est bien embêté parce qu’il avait déclaré pouvoir écarter de manière certaine la complicité des maçons, peintres, photographes etc. Il refuse d’imaginer que le vol ait pu être aussi simple et sans complicité et se trouve bien embarrassé par ce coupable qui est à peine mentionné dans l’enquête.
Comble de l’embarra, Vincenzo Peruggia est un italien arrêté sur le sol italien et sera donc jugé en Italie. Alors que deux enquêteurs français sont envoyés à Florence, on s’interroge sur cet échec monumental.
Parce que, comme je l’ai évoqué juste avant, Peruggia a bien été interrogé par la police le 29 novembre 1911 mais il n’a jamais été soupçonné alors qu’il est noté que le jour du vol, il est arrivé deux heures en retard au travail, pile à l’horaire supposé du vol. Il a bien confirmé avoir travaillé au Louvre à la pose des vitres sur les tableaux du Salon Carré. Mais son attitude a joué pour lui : personne ne peut imaginer que ce petit ouvrier qui ne paie pas de mine a pu cambrioler le Louvre.
Il y aussi le problème de l’empreinte du pouce. Rappelez-vous, Vincenzo Peruggia était déjà fiché à l’Identification Judiciaire qui avait donc une fiche avec ses empreintes digitales. Pourquoi n’y a t-il pas eu de recoupement de ces informations ? Il semblerait que le problème vienne du classement des fiches. Le système crée par Bertillon était fondé non pas sur les empreintes mais sur les mensurations osseuses : les empreintes ne venaient qu’en renfort. En plus, il semble que, pour les empreintes, il faille dix fiches par individus, une par doigts, sachant que c’est le pouce droit et non le gauche qui était le doigt de référence. Bref, Bertillon se défendra en déclarant qu’il aurait fallu vérifier 750 000 fiches et donc faire 750 000 comparaisons à la loupe mais ça restera un immense échec personnel. Problème, si on prend en compte l’interrogatoire de Perrugia, une simple vérification rapide dans les fiche de Bertillon aurait suffi à le confondre.
L’autre problème qui se pose c’est la mésentente entre services. Le directeur de la Sûreté méprisait le service de l’Identification Judiciaire qu’il jugeait inutile. Et puis, ce service était finalement entaché par l’affaire Dreyfus et le rôle peu glorieux qu’y a joué Bertillon donc il n’est pas impossible que ce service ait été sous-employé.
Mais il y encore autre chose. Bertillon prétendait que Peruggia n’était pas sur la liste des personnes bertillonnées, c’est-à-dire dont on avait pris les mesures et les empreintes. Cette liste comprenait des fonctionnaires du Louvre, des ouvriers et des intervenants qui ont travaillé ponctuellement au musée : 257 personnes en tout. Peruggia n’était effectivement pas sur cette liste. Pourquoi ? Parce que s’il a bien été convoqué deux fois, il ne s’est jamais présenté. Et ça ne semble avoir inquiété personne.
Last but not least, plusieurs conservateurs du Louvre ont indiqué aux enquêteurs que les vitriers étaient les voleurs les plus vraisemblables dans cette affaire puisque ce sont eux qui sont au plus près des tableaux. Jean Guiffrey, ancien conservateurs des peintures du Louvre détaché à Boston s’est même fendu d’une lettre à la direction du Musée pour les inciter à vérifier les emplois du temps des vitriers. Paul Leprieur, le conservateur des peintures alors en service avait mené sa propre enquête qui l’avait mené jusqu’à l’entreprise Gobier. Gobier a, à sa demande, fourni une liste des ouvriers ayant travaillé dans le Salon Carré sur laquelle figurait le nom de Perrugia qui avait alors démissionné. Leprieur a fait parvenir cette liste au juge Drioux qui n’en a rien fait. Et pourtant… Cinq ouvriers de chez Gobier ont participé à la campagne de mise sous vitre des tableaux du Salon Carré dont Peruggia. Sur ces cinq, deux ont été retirés car il faisait du mauvais travail et un est tombé malade. Concernant la Joconde, quatre personnes ont travaillé dessus : deux personnes du musée et deux personnes de chez Gobier, le contremaître et Peruggia. Ce dernier confirmera avoir eu à cette occasion un véritable cours pratique sur le montage et le démontage de la boîte vitrée.
Dernier détail, s’il en fallait encore, les vitriers avaient installé leur atelier provisoire dans la galerie des primitifs italiens qui s’appelle en réalité la salle des Sept-Mètres et qui, bien sûr, donne accès à l’escalier du même nom, un escalier bien connu des ouvriers puisque, rappelez-vous, c’est le seul endroit qui comporte des toilettes dans cette aile du musée et c’est aussi par là que beaucoup des ouvriers passaient pour rejoindre le Salon carré.
Bref, des erreurs de débutants, des mésententes entre services, un certain mépris pour le personnel du musée, des gardiens jusqu’aux conservateurs sont la cause de l’échec absolument cuisant du service de la Sûreté.
Le retour triomphal de la Joconde au musée du Louvre
Le 12 décembre 1913, le monde entier apprend que le Joconde a enfin été retrouvée. Chacun y va de son petit commentaire et on remarque, non sans ironie, que le tableau a été retrouvé là où il a été peint et tout près de là où Léonard de Vinci est né. Henry Marcel, le directeur des Musées Nationaux et Paul Leprieur, le conservateur des peintures du Louvre partent en Italie, le conservateur pour vérifier l’authenticité du tableau – les polémiques autour du vol l’ont beaucoup affecté et il ne veut pas prendre de risque – et Henry Marcel pour organiser le rapatriement du tableau à Paris. Oui, parce que, il faut le noter, l’Italie n’a, à aucun moment, voulu garder le tableau. Bon, par contre… il y a quelques dirigeants italiens qui n’ont pas pu s’empêcher de faire des remarques qui ont fortement déplu à la presse française comme Luigi Credaro, le ministre italien de l’Instruction public qui se dira heureux de pouvoir faire don de la Joconde à la France « une seconde fois » ou bien encore des députés et sénateurs italiens qui demanderont que le tableau soit exposé au Palais Médicis afin, je cite, que « le peuple de Florence puisse voir dans sa patrie une œuvre qui jadis fut sienne ».
Le fait est que la Joconde ne va pas rentrer incognito à Paris. La restitution va se faire dans un immense tapage médiatique mais surtout l’œuvre de Léonard de Vinci va entamer une tournée triomphale à travers l’Italie. Elle est tout d’abord, et ce n’est que justice, exposée au Musée des Offices à Florence, gardée par quatre policiers, au milieu des bousculades (on parle quand même de 50 000 visiteurs le premier jour). Elle part ensuite à Rome en train et, à chaque station où elle s’arrête, elle reçoit les honneurs avec les carabinieri au garde à vous. C’est à Rome qu’a lieu la restitution officielle à la France mais la Joconde, telle une popstar, continue sa tournée italienne. Elle est exposée dans trois lieux différents à Rome avant de partir à Milan, toujours escortée par Paul Leprieur, le conservateur des peintures, qui a sans doute trop peur de la voir s’échapper à nouveau.
Elle arrive enfin à Paris le 30 décembre 1913. Pour l’occasion, la gare de Lyon a été cernée par les policiers. Elle est ensuite exposée à l’École des Beaux-Arts avant de retrouver son cadre et sa place dans le Salon Carré, cette fois bien rivée au mur. Pendant deux jours, le public peut aller la voir moyennant une entrée à un franc. Le plus drôle dans l’histoire, c’est que beaucoup de gens sont déçus : la presse a tellement fait monter la sauce sur cette histoire que le public s’attend probablement à quelque chose de plus grandiose que cette peinture aux dimensions fort modestes.
Les 35 000 Francs que rapporteront les deux journées d’ouverture à un franc seront reversés à des œuvres de bienfaisance italiennes, un beau geste qui sera malheureusement très mal perçu par la presse qui ne prend pas très bien le fait que l’argent soit versé, même indirectement, à des ouvriers italiens alors que c’est un ouvrier italien qui a volé le tableau. Le souci, c’est que certains journaux ont brodé sur la personnalité de Vincenzo Peruggia en lui prêtant des intentions qu’il n’avait probablement pas, attisant ainsi la haine contre les immigrés italiens.
Quant à l’antiquaire italien, Alfredo Geri, il va pousser le bouchon un petit peu loin. Il reçoit comme prévu les 25 000 francs promis par les Amis du musée du Louvre, il est fait officier de l’instruction publique mais outre qu’il se plaint de ne pas avoir été invité à Rome pour la restitution, il demande, en plus, une rémunération proportionnée à la valeur du service, c’est-à-dire à la valeur de la Joconde. Pour ça, il assigne l’État français en justice et demande 100 000 francs (une somme considérable à l’époque) en dommages et intérêts. Il sera toutefois débouté par le tribunal de la Seine en 1918 et sera condamné aux dépens, c’est-à-dire à payer les frais du procès.
Les dernier soubresauts de l'enquête sur la disparition de la Joconde
L'enquête après coup
Pendant ce temps, que devient Vincenzo Peruggia ? Il est incarcéré à la prison de Florence mais a un traitement de faveur grâce à des dons anonymes qui lui permettent d’avoir une cellule aménagée et de meilleurs repas. Mais toutes les bonnes choses ont une fin et quand les dons s’arrêtent, il retourne avec les autres prisonniers mais sans aucune amertume. Il est décrit comme quelqu’un de calme voire d’imperturbable, qui ne lève jamais la voix, de plutôt agréable même, sans histoire, qui ne plaint jamais et demande juste à avoir de quoi lire. Il est un peu considéré comme simple d’esprit. Lorsqu’il a appris que la Joconde était retournée à Paris, il aurait juste hoché la tête en disant « on voit bien qu’ils n’ont rien compris ».
L’enquête continue à Paris comme en Italie. Des lettres sont retrouvées dans la maison familiale de Perrugia, en Italie, dans lesquelles il mentionne un futur gain considérable et la fin de tous ses problèmes. Aux policiers italiens, Perrugia raconte qu’il avait très mal pris le petit rire ironique d’un employé du Louvre à qui il avait fait remarqué que les œuvres italiennes étaient les plus admirées dans le musée. Plus tard, il aurait découvert une gravure représentant des chars remplis des trésors italiens que Napoléon avait volés, sans prendre le temps de lire le livre qui mentionnait sans doute les restitutions. Il aurait ainsi ruminé sa vengeance.
À Paris, les voisins de Perrugia découvrent avec stupeur la photo de l’ouvrier dans les journaux. Il ne se liait pas beaucoup mais était très estimé dans sa résidence. Ses quelques amis retournent d’ailleurs très vite leur veste. Il faut dire qu’ils sont quelques-uns à avoir vu la caisse chez lui sans savoir ce qu’il y avait dedans et puis la police française s’acharne sur l’entourage de l’ouvrier italien, cherchant absolument des complices. Vincenzo Lancellotti, qui avait gardé la Joconde chez lui lors de l’hiver 1911, est arrêté avec toute sa famille. La police met à sac la petite chambre de Perrugia, dissèque sa vie et sa maîtresse est livrée en pâture à la presse.
Les enquêteurs français trouvent toutefois de plus en plus d’éléments qui prouvent que le vol n’était pas vraiment désintéressé, notamment des carnets remplis d’adresses d’antiquaires, et surtout des antiquaires qui ne sont pas du tout italiens. Peruggia est même allé à Londres pour vendre le tableau, mais l’antiquaire qu’il a rencontré et qui ne l’a probablement pas cru, lui a conseillé de restituer le tableau. Le plus drôle c’est que cet antiquaire, qui est le plus important marchand d’art anglais de l’époque, a largement contribué aux 25 000 francs de récompense promis par les Amis du Louvre.
Vincenzo Perrugia attend donc son procès après une tentative audacieuse mais infructueuse de son avocat qui avait demandé sa libération faut de plainte contre lui. Et c’est vrai : la France a oublié de déposer une plainte officielle auprès des autorités italiennes.
C’était bien tenté.
Le procès s’ouvre donc le 4 juin 1914 dans l’indifférence générale : la presse, avide de scandale, s’est lassée de ce petit ouvrier sans histoire et le Louvre n’est même pas représenté lors de l’audience. Peruggia raconte son quotidien à Paris et notamment la vie difficile d’immigré italien : même s’il est bien traité par son patron, il explique que ses collègues le brutalisaient, volaient ses affaires et lui faisaient des blagues douteuses. Il garde son calme tout au long du procès sauf quand l’antiquaire Alfredo Geri témoigne et explique que Peruggia a demandé 500 000 francs pour le tableau, ce qui met l’accusé très en colère.
L’avocat de Perrugia, pour montrer la mesure dont sont client a fait preuve dans toute cette histoire, va se servir des actions violentes des suffragettes – on appréciera – faisant valoir le fait qu’il aurait pu dégradé le tableau au Louvre par exemple. Il rappelle qu’il n’a nui à personne et a même permis aux italiens de pouvoir admirer la Joconde. Le patriotisme supposé de Vincenzo Peruggia joue clairement en sa faveur et il écope d’un an et 15 jours de prison, sachant qu’il aurait risqué entre 10 et 15 ans en France. La peine est réduite à 7 mois et 8 jours en appel le 29 juin 1914 et, comme ça fait plus longtemps qu’il est en prison, il est libéré mais ça passe complètement inaperçu, et pour cause : la veille, l’archiduc François-Ferdinand a été assassiné à Sarajevo, annonçant l’un des plus gros conflits du XXe siècle.
1915: la piste allemande
L’affaire aurait pu s’arrêter là mais elle connait un dernier soubresaut en 1915. Dans le périodique Le Journal paraissent trois articles les 26, 27 et 28 juillet dans lesquels Peruggia revient sur le vol de la Joconde et donne une toute autre version : le vol aurait été fait à l’instigation d’un agent allemand. Cet homme aurait engagé la conversation avec lui alors qu’il se trouvait dans l’atelier provisoire des vitriers, dans la salle des Sept-Mètres et il aurait donné un peu d’argent à l’ouvrier italien pour aller boire un coup. Il serait revenu ensuite tous les trois jours, lui donnant régulièrement de quoi se payer des verres et aurait orienté progressivement la conversation sur les tableaux volés à l’Italie par la France. Il dit à Peruggia qu’il est haut placé et que si celui-ci vole un tableau italien, il pourrait contraindre la France à accepter une restitution sous la pression de l’Allemagne. Il aurait même conseillé à Peruggia d’opérer le lundi et lui aurait donner de l’argent pour étudier le projet. L’ouvrier italien ajoute qu’il aurait tenté deux fois de voler quelque chose mais qu’il s’était ravisé à cause du monde dans la salle. Une fois la Joconde volée, il n’aurait jamais revu l’allemand. Désespéré et ne sachant que faire du tableau, il aurait écrit en Italie pour solder l’affaire.
Que penser de cette déclaration ? Déjà, elle pourrait expliquer enfin pourquoi Peruggia a gardé si longtemps le tableau sans rien faire. Deux ans quand même. Son récit est politiquement plausible. Au moment de son procès, l’Italie commence à prendre ses distances avec son allié germanique et évoquer un agent allemand aurait probablement desservi Peruggia à ce moment-là. Il dit d’ailleurs avoir compris s’être fait dupé quand la guerre a éclaté, en 1914 alors que, malgré la pression, l’Italie a préféré rester neutre pour ensuite rejoindre les alliés : clairement,l’agent allemand, même haut placé n’aurait pas eu le pouvoir suffisant pour faire accepter cette restitution à l’Italie qui prenait déjà ses distances avec l’Allemagne.
Et puis, on peut se demander quel intérêt Peruggia aurait eu à mentir ? Il était complètement tombé dans l’oubli et, en pleine guerre mondiale, s’il avait voulu revenir sur le devant de la scène, il aurait fallu quelque chose d’un peu plus sensationnel. On pourrait imaginer que le journaliste qui a écrit les articles a tout inventé mais on ne peut pas dire que la période s’y prête et si vraiment c’était le cas, il aurait mis ça en scène avec des coups de théâtres et autres rebondissements comme savait si bien le faire la presse de l’époque.
La question qui se pose ensuite, c’est : est-ce ça pourrait être vrai ? Eh bien, plutôt, oui. Avant la guerre, la presse mentionnait très régulièrement des affaires d’espionnage allemand, des sabotages ou des tentatives de manipulation. En 1908 par exemple, un officier de la Marine Française avait tenté de vendre des documents secrets à l’Allemagne. Le vol de la Joconde et sa restitution à l’Italie par le bais de l’Allemagne aurait été un coup d’éclat spectaculaire, une mise en scène de la générosité de l’Allemagne envers son allié italien de plus en récalcitrant. Mais en même temps, ça aurait été un mauvais calcul, du moins en ce qui concerne la Joconde. La Joconde n’ayant pas été volée par la France, il aurait bien fallu la rendre.
Une autre théorie voudrait que l’agent soit un escroc qui aurait cherché et trouvé un exécutant docile pour le casse du siècle. Il y un personnage qui colle assez bien avec ce profil c’est celui d’Otto Rosenberg, un allemand, membre de la pègre internationale, trafiquant d’art, proxénète et autres joyeusetés. Et le fait est que parmi les pistes explorées par la Sûreté, il y avait celle donnée par Alexander Snatager, un détective fin connaisseur du milieu des trafiquants d’art qui affirmait qu’un de ses amis, voleur professionnel, était en possession de la Joconde et une théorie voudrait que le commanditaire et l’ami trafiquant d’art en question aurait été Otto Rosenberg. La Sûreté aurait été avertie des agissements de Rosenberg et l’affaire aurait alors capoté, laissant Peruggia seul avec un tableau dont il ne savait pas quoi faire. La question est alors de savoir pourquoi Rosenberg n’a pas tenté de récupérer le tableau plus tard, quand la police s’est désintéressée de l’affaire.
Bref, on a que des suppositions mais aucune certitude et on ne saura sans doute jamais le fin mot de l’histoire. En tous cas, après ces trois articles de 1915, on n’entendra plus parler de Vincenzo Peruggia. Il reviendra vivre en France où il y mourra au jeune âge de 44 ans, sans doute affaibli par ses crises se saturnisme.
Le vol de la Joconde: un vol lourd de conséquences
La Joconde superstar
Aujourd’hui on a presque oublié cette histoire de vol de la Joconde, mais elle a eu des retombées très importantes et sur le long terme. Déjà, en ce qui concerne la Joconde elle-même. Certes, elle était déjà relativement connue avant le cambriolage, mais son rapt va amener à la production d’une surenchère d’images. Après le vol, elle est reproduite dans tous les journaux et même le très grand public, qui ne l’avait jamais vue, sait maintenant à quoi elle ressemble. Mais c’est surtout à ce moment-là qu’on voit fleurir le sourire de Mona Lisa sur des photos, des cartes postales qui se sont vendues à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, des bibelots, des caricatures, des photomontages parfois vulgaires voire mêmes carrément obscènes. La Joconde est alors utilisée pour vendre tout et n’importe quoi : des cigares, des rillettes, de la liqueur, du dentifrice, c’est même le nom d’un nouveau corset. Elle devient un personnage de revue voire même de cinéma avec la sortie en 1911 du film Nick Winter et le vol de la Joconde puis, en 1914, C’est Nick Winter qui a retrouvé la Joconde et on invente des chansons, parfois grivoises, sur Mona Lisa qui sont vendues dans la rue sur des feuillets volants illustrés.
Finalement, l’utilisation de la Joconde par la presse notamment, nous donne une idée assez parlante de la représentation des femmes dans les années 10. Je l’ai dit tout à l’heure, à cette époque, le monde s’ouvre beaucoup et les femmes commencent à s’émanciper, à se déplacer seules, prendre le train etc. et les chansons ou la presse satyrique qui imaginent la Joconde avec ses petites jambes aller prendre le bateau pour les États-Unis est un indice de la visibilité de plus en plus grande des femmes dans l’espace publique. Il faut savoir que, selon les historiens, au début du XXe siècle, après la défaite de la France dans la guerre Franco-prussienne en 1870, la France connaît une « crise de la masculinité » : on a peur du dépeuplement et les hommes sont particulièrement sur la défensive par rapports aux féministes ou plus largement les femmes qui refusent le rôle traditionnel qui leur est assigné. S’ajoute à cela une problématique de classe qu’on retrouve aussi à travers la Joconde. Lors de son retour en France, un journaliste du périodique Le Journal écrira qu’elle revient « profanée après avoir été traînée sur toutes les scènes de beuglants, chansonnée à tous les carrefours, caricaturée le long des murs. » Outre la problématique de la place de la femme dans l’espace publique, ce commentaire met en avant le fait que la Joconde aurait été donnée en pâture à la classe populaire et s’inscrit dans un mouvement de rejet de la démocratisation de la société dans laquelle la culture et l’art ne sont plus réservés à une élite.
Tout ça pour dire que la prochaine fois que vous verrez une carte postale ou un mug avec la tête de la Joconde dessus, rappelez-vous que tout ça, c’est peut-être à cause de Vincenzo Peruggia.
Des conséquences positives: la sécurité du Louvre et la politique extérieure
Le vol de la Joconde n’a pas seulement pour conséquence de transformer Mona Lisa en superstar, il a aussi amené à des questionnements et des prises de décisions importantes. Déjà, quand est venu le temps de choisir un tableau à mettre à la place de la Joconde, on a commencé à se poser des questions sur l’organisation des salles du musée, avec ces amas de tableaux les uns sur les autres, qui couvraient les murs et ça a permis de lancer le débat sur ce que devait être un musée moderne.
Mais surtout, et sans grande surprise, le vol de la Joconde a amené la direction du Louvre à faire des changements drastiques en termes de sécurité. Le nombre des gardiens a été considérablement augmenté et des chiens sont venus renforcer les équipes de nuit. Le vestiaire a été rendu obligatoire pour les conférenciers et les professeurs et surtout, on a mis en place le bon de déplacement dans tous les musées nationaux. Vous savez, c’est ce petit papier qui est mis à la place d’une œuvre quand elle est déplacée et qui indique où est l’œuvre et pour combien de temps, un petit outil bien pratique toujours utilisé aujourd’hui.
Georges Bénédicte, le conservateur des Antiquités Égyptiennes, aura d’ailleurs un petit mot pour Vincenzo Pruggia à qui, dira-t-il, Le Louvre doit plus de réformes qu’il n’en avait connu depuis sa création.
Mais ça va même plus loin puisque toute cette affaire a été l’occasion d’un rapprochement entre la France et l’Italie dans un contexte international très tendu, ça a donc eu des répercussions politiques assez importantes. Et finalement, l’avocat de Peruggia n’avait pas tort lorsqu’il disait à son procès que le vol a bénéficié à tout le monde – la presse, les marchands de cartes postales et de camelote, à l’antiquaire Alfredo Geri, aux relations entre la France et l’Italie – et que, finalement, le seul qui n’avait rien retiré de son crime, c’était le voleur.
On ne peut qu’espérer que le vol des bijoux de la couronne d’octobre dernier ait une conclusion aussi positive que celui de la Joconde même si la nature même des objets volés laissent assez peu d’espoir à ce sujet mais si ça contribue à faire évoluer la sécurité dans les musées nationaux, ce sera toujours ça de pris.
Crédits:
Extraits de films, de séries ou d’émissions :
- JT du 20 octobre 2025 (France 2)
- JT du 20 octobre 2025 (France 24)
- JT du 20 octobre 2025 (TF1)
- Les indestructibles (2004)
- Publicité Nestlé 2001
Musiques utilisées dans l’épisode:
- Breaking news (Mikhail Smusev))
- Sports music (Nick Valerson)
- I am not in Paris (Geoffrey Burch)
- A walk in Paris (Not AI Generated)
- Impossible (Tomas Herudek))
- Shadows in the hollow (Mircea Iancu)
- Comedy detective (Not AI Generated)
- Elevator music (Oleksii)
- The catacombs of Paris (Tokyo Rifft)
- Notte stellata (BFC Music)
- Nighwalk in Paris (Alban Gogh)
- Secret service inspired by 007 (Luis Humanoide)
- Ancora qui per te (Vladimir Visic)
- Senza dire addio (Vladimir Visic)
- Paris Love (Sound Music)
- Pairs Montmartre (Jean-Paul Verpeaux)
- Walz to Paris (Jérôme Chauvel)
- La Joconde (Barbara)
Soutenez le podcast !
Mettez une note (5 étoiles !) sur Apple Podcast, aidez ainsi le podcast à être connu, écouté et partagé.


Commenter l'article :